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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Version de concert de Neither de Morton Feldman sous la direction d'Emilio Pomarico à la Cité de la Musique, Paris.
L'opéra du ni-ni
Oscillant obstinément aux frontières du silence, la musique de Morton Feldman est l'une des plus saisissantes qui soit. Donné en création française, son unique opéra, Neither, basé sur un texte ultra bref de Beckett, est une expérience inédite, qu'une interprétation trop maîtrisée peine toutefois à transcender.
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Affluence des grands soirs à la Cité de la Musique pour l'ouverture du 36e Festival d'Automne qui présente en création française – et cela est étonnant tant l'oeuvre depuis sa création à Rome en 1977 déchaîne exégèses et commentaires – Neither de Morton Feldman.
C'est que l'opéra réunit les ingrédients nécessaires pour être légendaire : d'une part, la rencontre entre le compositeur et un écrivain, Samuel Beckett, où sourd le malentendu : « Monsieur Feldman, je n'aime pas l'opéra. – Je ne vous le reproche pas – Mais alors, que voulez-vous ? – Je n'en ai pas la moindre idée », qui débouche sur un livret pouvant prétendre au Guinness – seize phrases seulement –, d'autre part l'oeuvre elle-même, monodrame qui pourrait évoquer ceux de Schoenberg ou de Poulenc, mais dont le texte demeure une heure durant pratiquement incompréhensible.
Lorsque la soprano finlandaise Anu Komsi s'installe sur une estrade placée au-dessus de l'Orchestre de la Radio de Francfort, on pense véritablement que Feldman a consenti à livrer un opéra en bonne et due forme : l'orchestre répond avec une mobilité inaccoutumée chez lui, par une suite d'épisodes contrastés, brefs et identifiables, qui instillent une tension opératique.
Il faut saluer l'impressionnante rigueur d'Emilio Pomarico qui, avec délicatesse, accompagne, merveilleusement, suivi par l'Orchestre de la Radio de Francfort, chaque geste de cette musique, qui répète de doux accords lancinants, installant l'auditeur dans une tendre torpeur, le faisant naviguer vers un ailleurs indéfini comme chaussé de charentaises métaphysiques.
Mais cette perfection instrumentale, jusque dans ces violons qui s'éteignent – tels ceux de l'Adagio final de la 9e symphonie de Mahler – finit par amoindrir la radicalité de l'oeuvre et faire de cette soirée une expérience presque trop confortable. Plus grave, Pomarico exhibe de la sorte les limites de la pièce : contrairement à Words and Music, dernière pièce achevée de Feldman sur une pièce de Beckett qui met en scène littéralement la musique, les mots du Prix Nobel irlandais deviennent alors prétexte.
On se gargarise de jeux de timbres admirablement raffinés, notamment de ces prodigieux cuivres avec sourdine, mais Neither ne choisit jamais entre l'allégeance au genre opéra et un certain nihilisme. Ce n'est que quand la pièce offre davantage de place à la partie vocale, et à l'extraordinaire voix d'Anu Komsi, étonnante, insinuante, presque enfantine si elle n'était aussi puissante – on pourra la réentendre le 6 novembre avec le Los Angeles Philharmonic, avec sa soeur Piia dans Wing on Wing d'Esa-Pekka Salonen – que Neither trouve son véritable sujet.
C'est sur un murmure douloureux, une souffrance aiguë qui s'éloigne, revient, se disperse, le plus souvent sur une seule note, que Neither devient opéra : du drame d'une voix qui s'échine à s'éteindre et à dire, jusqu'au « unspeakable » final, seul mot clairement intelligible de l'oeuvre entière.
On s'interroge néanmoins si une lecture moins maîtrisée – la voix d'Anu Komsi, tendue à l'extrême, eut l'heureuse idée de se rompre lors de cette soirée brisant ainsi l'implacable machine feldmanienne –, aurait rendu l'expérience de Neither plus radicale et plus marquante ou si Feldman avait d'ores et déjà dû amoindrir sa radicalité dans un genre aussi complexe et cannibale que l'opéra.
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Cité de la Musique, Paris Le 22/09/2007 Laurent VILAREM |
| Version de concert de Neither de Morton Feldman sous la direction d'Emilio Pomarico à la Cité de la Musique, Paris. | Morton Feldman (1926-1987)
Neither, opéra en un acte pour soprano et orchestre (1977)
Texte de Samuel Beckett
Version de concert
Création française
Anu Komsi, soprano
Orchestre symphonique de la Radio de Francfort
direction : Emilio Pomarico | |
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