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CRITIQUES DE CONCERTS |
30 octobre 2024 |
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Première à l'Opéra de Lyon du Siegfried de Wagner mis en scène par François Girard, sous la direction de Gerard Korsten.
Routine dominicale
Un opéra de Wagner à Lyon suscite toujours par sa rareté beaucoup d'attentes. Après Lohengrin la saison dernière, place à un Siegfried hors Ring complet qui, sans jamais se révéler indigne, fait les frais de la routine dominicale. Hormis une scénographie marquante, grisaille vocale et langueur sont au rendez-vous, loin de la passion et de l'énergie nécessaires.
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La nouvelle production lyonnaise de Siegfried frappe essentiellement par deux atouts. Malgré une fosse réduite qui ne permet pas d'envisager Wagner dans des conditions orchestrales optimales, l'Opéra Nouvel est entièrement conçu en noir pour accentuer l'attention du spectateur sur la scène. Hormis le Festspielhaus de Bayreuth lui-même, rares sont les salles d'opéra à pouvoir offrir une telle atmosphère, entièrement tournée vers l'impératif dramaturgique de la scène et dépourvue du clinquant de l'opéra traditionnel.
Le deuxième atout incontestable repose sur la scénographie et en particulier sur les magnifiques décors de Michael Levine : tourbillon emportant les lambeaux d'un monde déchu, galaxie en perpétuel mouvement, spirale de l'histoire charriant les hommes et les débris du monde, l'élément principal constitue une véritable cosmogonie et donne constamment l'impression d'un monde en mouvement. Un astucieux contrepoint dynamique par rapport à une scène souvent statique, en raison de l'argument initiatique de l'oeuvre.
Hélas, cet art de l'équilibre ne suffit pas à compenser quelques lacunes au niveau de la mise en scène proprement dite. Si des idées emportent l'adhésion par leur pertinence – ressemblance physique très significative entre les deux personnages de pouvoir que sont Wotan et Alberich –, certaines scènes perdent toute saveur dramatique : ainsi du passage des devinettes entre le Wanderer et Mime, sans substance et sans suspense, et donc relégué à sa fonction primaire et ennuyeuse qui consiste à rappeler au spectateur des éléments antérieurs de l'histoire.
Alors que Wagner avait trouvé un argument astucieux pour faire passer une faiblesse rhétorique, la mise en scène laisse apparaître cette ficelle de dramaturge dans toute son artificialité. Même chose pour la dernière scène entre Siegfried et Mime, où les mensonges du nain devraient donner lieu à un moment de théâtre plus explicite. La mise en scène ne raconte pas assez et ne rend pas suffisamment visibles les ressorts dramatiques fondamentaux.
Enfin, on déplore un Siegfried manquant de stature, de présence, la lecture oblitérant la nature profondément guerrière du héros. Le trouble et les maladresses d'un Siegfried que l'on conçoit tout à fait apprêté dans la scène avec Brünnhilde ne légitiment en aucun cas qu'il soit affublé d'un sourire littéralement benêt. François Girard, que l'on sait être un metteur en scène efficace et créatif, sombre dans le péché véniel qui consiste à exagérer un aspect du personnage au détriment d'un autre qui le rend peut-être paradoxal, mais qui existe bel et bien.
Un Siegfried en manque de présence et de posture
Il faut dire que le Siegfried de Stig Andersen, vocalement tout à fait honorable et tenant la distance, ne lui prête pas pour autant main forte. Malgré une technique exacte, un timbre un peu terne ne permet pas au chanteur de s'afficher comme un véritable Heldentenor. Une tension continue dans des épaules qui ne cessent de monter ne peut qu'entraver la ligne de chant, autant qu'elle prive le héros mythologique d'une véritable présence au niveau de la posture, en raison de l'absence d'un vrai centre de gravité.
Le reste du plateau, hormis l'admirable Mime de Robert Künzli et la bonne tenue de l'Alberich de Pavlo Hunka, avoue également quelques limites. Matthew Best pêche par insuffisance au-dessus du médium et fait étal d'une diction calamiteuse qu'un Wanderer vieilli et affadi ne suffit pas à légitimer. La Brünnhilde de Susan Bullock séduit peu par ses aigus pointus et son vibrato ondulatoire alors que par ailleurs l'émission est admirable sur le reste de la tessiture et dans le mezzo-forte. On sera en revanche très sévère avec un Fafner qu'une sonorisation trop mate et peu soignée ne met décidément pas en valeur : un comble à l'heure où la technologie permet facilement de rehausser un effet dramatique !
L'Orchestre de l'Opéra de Lyon surprend par sa qualité et sa tenue dans une partition difficile. Gerard Korsten a indéniablement avec cette formation un bon feeling et soigne la mise en place. Cependant, il manque encore à cette lecture un sens de la dramaturgie si bien que malgré des qualités, la prestation orchestrale ne décolle guère.
Somme toute, on reste sur une impression ambiguë dans laquelle la routine dominicale confère à cette initiation une certaine grisaille et trop de langueur. Mais peut-être le spectacle prendra-t-il de la consistance au fur et à mesure des représentations ?
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