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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Création mondiale de Genitrix de László Tihanyi dans la mise en scène de Christine Dormoy et sous la direction du compositeur à l'Opéra de Bordeaux.
Mauriac vu de l'Est
Première mondiale à Bordeaux : première d'un opéra tiré de l'oeuvre de François Mauriac, écrivain lié au terroir girondin, mais également premier opus lyrique du Hongrois László Tihanyi, proche du compositeur et chef Peter Eötvös. Cet événement, très attendu, démontre une fois de plus combien le genre opéra est vivant, combien il est fertile.
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Bordeaux ne passe pas pour une ville d'avant-garde malgré le festival Sigma jadis, Novart aujourd'hui et le bouillonnant musée du Capc. Aussi la création d'un opéra y est-elle plus risquée qu'ailleurs. Et l'on attendait qu'à l'entracte, la salle se vide. Tel ne fut pas le cas. Les Bordelais ont appris à écouter. Voici un premier bon point à mettre au crédit du directeur de l'Opéra national de Bordeaux, Thierry Fouquet, même si le succès de Genitrix doit être nuancé.
Venu de l'Est, László Tihanyi n'a sans doute pas senti en profondeur la terre girondine, celle qui s'insinue entre l'humus moite des forêts de pins exhalant une chaleur torride, celle des villes l'été aux volets clos pour se préserver du qu'en-dira-t-on plus que du soleil, et enfin des bourrasques tumultueuses de l'Océan tout proche.
Malgré les persiennes entrouvertes d'un beau décor où l'on devine parfois sur des images vidéo l'escalier en fer forgé d'une somptueuse demeure patricienne, le climat de Genitrix n'est pas celui des étouffants romans de Mauriac où la passion antique se nourrit des travers bourgeois. La musique de Tihanyi est à l'opposé de tout cela, intellectuelle et non passionnelle, sèche et non emportée, rugueuse et non tendre.
Et cette histoire de mère abusive, de maîtresse femme ne s'attachant qu'à la victoire remportée sur son fils manque de cette suffocation mauriacienne. Mais les remarques positives l'emportent toutefois. La musique de Tihanyi s'impose peu à peu par ses obsédantes sonorités, ses invocations, même si l'on se demande pourquoi le compositeur hongrois a commencé et terminé son opéra par de beaucoup trop longs choeurs en latin du Moyen Âge.
Difficulté inouïe
Contraste encore : cette prosodie musicale, cette sorte de monochromie monotone dans laquelle les passions s'épanouissent et s'estompent possède un certain enchantement. La partition est mieux écrite pour l'orchestre que pour les chanteurs qui peinent à se faire entendre à travers des rôles d'une difficulté inouïe où le parlé-chanté est omniprésent.
László Tihanyi, comme tous les chefs-compositeurs dirigeant leur oeuvre, valorise davantage l'orchestral que le vocal. Et les solistes ont bien du mal. Ils sont pourtant éblouissants. Impressionnant de soumission et de lâcheté est le fils sous la mère, Fernand, chanté par Jean-Manuel Candenot. Sevan Manoukian, façonnée par Mady Mesplé – elle a remporté un triomphe dans Ta Bouche, récompensé par Les Molières –, est une touchante Mathilde.
Virtuose, le ténor Duluc chanté par Christophe Berry doit affronter une tessiture vertigineuse et faire fi de changements de mesure terrifiants. Quant à Félicité, marâtre subversive, elle est chantée par Hanna Schaer, qui s'affirme de nouveau comme l'un des grands mezzos de notre époque, d'un tempérament, d'une musicalité et d'une diction remarquables.
Costumes superbes, mise en scène plutôt en pertinente mise en espace, ce Genitrix s'améliorera au fil des représentations et gagnera certainement en intensité. Car iI a du caractère et mériterait d'être repris et un peu peaufiné
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