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CRITIQUES DE CONCERTS 21 décembre 2024

Concert en hommage à Karajan par les Berliner Philharmoniker sous la direction de Seiji Ozawa, avec la participation de la violoniste Anne-Sophie Mutter à la salle Pleyel, Paris.

À l'école des sorciers

Dans la programmation symphonique parisienne, un concert en hommage à Karajan avec l'archet d'Anne-Sophie Mutter et les Berliner Philharmoniker sous la direction de Seiji Ozawa avait toutes les chances de braquer les projecteurs sur le 252, rue du Faubourg Saint-Honoré. Objet de toutes les convoitises, cette soirée restera un jalon de la saison 2007-2008.
 

Salle Pleyel, Paris
Le 25/01/2008
Yannick MILLON
 



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  • Avec sa gestique de maître du Kung Fu, son épaisse chevelure poivre et sel et ses airs de lutin diabolique, Seiji Ozawa évoque en plus d'une occasion la sorcière du Château de l'araignée du cinéaste Akira Kurosawa. Protégé de Karajan, qui lui avait fait la requête suprême de diriger à sa mort la 9e symphonie de Bruckner à Salzbourg, le chef nippon compte comme son mentor parmi les magiciens de l'orchestre, de ceux qui réussissent une prodigieuse alchimie sonore par leur magnétisme dès qu'ils montent au pupitre.

    Personne n'était donc plus à même qu'Ozawa de rendre hommage à Karajan à l'occasion du centenaire de sa naissance, surtout à la tête de la formation dont ce dernier avait exigé en 1955 la direction à vie et dont il a conduit les destinées pendant plus de trois décennies. Pour parachever ce concert in memoriam, impossible de choisir meilleure soliste que la violoniste Anne-Sophie Mutter, que le chef autrichien avait littéralement prise sous son aile au début des années 1980. Tout était donc réuni, ce vendredi soir à Pleyel, pour le véritable triomphe qui devait bel et bien avoir lieu.

    Dès les premières mesures d'un Concerto pour violon de Beethoven crépusculaire comme rarement, le Philharmonique de Berlin fait valoir une assise grave sans lourdeur, un modelé, un fondu orchestral prodigieux, qu'Ozawa exploite à loisir, distillant autant de couleurs automnales tout à fait idoines. Le discours avance sans précipitation, dans un flux retenu mais naturel qui offre à Anne-Sophie Mutter le plus bel écrin.

    Dommage que cette dernière use et abuse, comme souvent, d'effets de loupe nuisant à la continuité globale, en alanguissements prévisibles sur des moments raréfiés. Ce tic, guère nouveau et trop souvent érigé en système dans le monde musical de notre époque, s'avère tristement aux antipodes de la stabilité rythmique parfois émaillée d'un subtil et à peine perceptible rubato prônée naguère par Karajan. Mais les temps ont changé, et Ozawa se fond, aussi admirablement que possible, dans ces artifices aujourd'hui répandus.

    En deuxième partie de soirée, la Pathétique de Tchaïkovski, qui comptait parmi les réussites majeures de Karajan. Loin du souci constant de son mentor de ne jamais freiner la progression du premier mouvement, Ozawa opte pour des tempi trop retenus et des rythmes pointés jamais assez serrés – aux cuivres notamment –, qui amenuisent l'impact dramatique, et passe paradoxalement trop en surface les conflits de l'épisode central, où les contrebasses se démènent pourtant avec une frénésie à ébranler la salle Pleyel.

    Mais à partir du deuxième mouvement, les réserves s'envolent pour laisser place à une fabuleuse leçon d'orchestre, à une maîtrise absolue des carrures de valse à cinq temps, à la suprême élégance de la battue du chef nippon, qui laisse le texte sonner sans le contrecarrer, avec en prime dans la partie centrale une certaine urgence dans les notes répétées qui participe au sentiment de mal-être profond typique du compositeur.

    Transcendé par des cordes enivrantes et des percussions survoltées, la machine orchestrale du troisième mouvement – qui jamais ne vire à la machine de guerre – ne manque pas de déclencher les applaudissements, et prépare un Adagio lamentoso final de la plus belle expressivité, où les soufflets des cordes graves sont autant d'accès de désespoir, où les suspensions se font béances, où de terrifiants cors bouchés sonnent, avec un gong de sinistre présage, l'heure de la mort.

    Et dans toute cette exécution, y compris dans les déroulements moins convaincants du premier mouvement, pas une miette de mauvais goût ou de sentimentalité bon marché. C'est bien là l'enseignement majeur de Karajan, ce sorcier des sons avec qui Ozawa était décidément à bonne école.




    Salle Pleyel, Paris
    Le 25/01/2008
    Yannick MILLON

    Concert en hommage à Karajan par les Berliner Philharmoniker sous la direction de Seiji Ozawa, avec la participation de la violoniste Anne-Sophie Mutter à la salle Pleyel, Paris.
    Ludwig van Beethoven (1770-1827)
    Concerto pour violon et orchestre en ré majeur op. 61 (1806)
    Anne-Sophie Mutter, violon

    Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893)
    Symphonie n° 6 en si mineur op. 74, « Pathétique Â» (1893)

    Berliner Philharmoniker
    direction : Seiji Ozawa

     


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