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CRITIQUES DE CONCERTS 21 novembre 2024

Nouvelle production du Rake's Progress de Stravinski mise en scène par Olivier Py et sous la direction d'Edward Gardner à l'Opéra de Paris.

Noir comme l'âme du diable
© Frank Ferville

Laurent Naouri (Nick Shadow)

Belle réussite d'Olivier Py pour ses débuts à l'Opéra de Paris sous les ors du Palais Garnier. Soutenue par une distribution solide où brille particulièrement le Tom Rakewell de Toby Spence, sa sombre vision du chef-d'oeuvre lyrique de Stravinski s'impose aisément par sa justesse de l'analyse de l'oeuvre et sa capacité à créer des images nouvelles et significatives.
 

Palais Garnier, Paris
Le 03/03/2008
GĂ©rard MANNONI
 



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  • On attendait ce Rake's Progress vu par Olivier Py avec d'autant plus d'intĂ©rĂŞt que la reprise de la production d'AndrĂ© Engel au Théâtre des Champs-ÉlysĂ©es Ă  la rentrĂ©e avait Ă©tĂ© Ă  tous Ă©gards une dĂ©ception. Le nouveau directeur du Théâtre national de l'OdĂ©on n'a pas ratĂ© son entrĂ©e Ă  Garnier.

    Une fois encore, son intelligence, sa sincérité, sa franchise ont abouti à un spectacle cohérent, nouveau sans inutiles provocations, correspondant à sa personnalité profonde et affirmant son caractère d'authentique homme de théâtre. Il a réussi ce que tant d'autres ratent, à savoir trouver des images modernes correspondant aussi bien à l'univers décoratif, satirique et cruel de Hogarth qu'à la volonté de Stravinski de placer l'ouvrage dans la lignée des grands contes moraux.

    Il est vrai que contrairement à Engel au TCE, il bénéficie d'une distribution de très bon niveau, avec des chanteurs capables de composer sous ses directives leurs personnages de manière aussi précise que dramatiquement efficace. Dans le rôle-titre, Toby Spence, voix parfaitement adaptée au rôle et physique aussi british que possible, est magnifique d'aisance, de silhouette, de conviction, qu'il soit le jeune écervelé dans le vent du début de l'oeuvre, dépassé par les événements ensuite ou totalement détruit, bedonnant et chauve aux ultimes scènes de sa déchéance-rédemption.

    © Frank Ferville

    Laura Claycomb, belle, aussi impavidement pure et obstinée dans son amour qu'une Elisabeth de Tannhäuser, a une fort jolie voix au registre aigu moelleux et facile, capable de mille nuances. C'est une fort convaincante Ann Trulove. Superbe prise de rôle pour Laurent Naouri dont Olivier Py fait un Nick Shadow de bande dessinée, aussi noir dans son costume que dans son âme, pervers meneur de jeu, au geste aussi tranchant que le profile habilement sculpté par le maquillage. Et puis, il chante vraiment bien à tous égards, la voix correspondant à l'emploi, même si l'on eut jadis des Shadow au timbre plus noir.

    René Schirrer intervient efficacement dans le rôle modeste de Trulove, Hilary Summers joue et chante avec ce qu'il faut d'humour un peu distancié la très voluptueuse Mother Goose voulue par le metteur en scène. Quant à Jane Henschel, elle nous gratifie d'une Baba la Turque d'anthologie, drôle quand il le faut, émouvante au bon moment, inquiétante à point nommé.

    Parfois un peu lente à donner plus de nerf à la musique quand l'action le réclame, la direction d'Edward Gardner est homogène, sans excès d'imagination, mais d'une belle tenue. Les choeurs, que l'on faillit malencontreusement oublier de faire saluer à la fin, sont eux aussi bien présents.

    © Frank Ferville

    Dans un décor noir et blanc, très construit, éclairé de néons changeants, jouant beaucoup sur la largeur du plateau à partir de grand praticables que l'on déplace à main d'hommes – on songe à la volonté d'un Chéreau de montrer aussi ouvertement les trucs de machinerie –, Olivier Py lance ses personnages dans un univers des plus sombres, où la dimension diabolique de Shadow est d'emblée affichée, où les seules lumières sont celles du scintillement factice de costumes évoquant à l'occasion – mais beaucoup mieux que chez Engel – le monde des comédies musicales américaines. Quelques voilages blancs symbolisent au début et à la fin la pureté de l'univers d'Ann.

    Et puis, Olivier Py joue franc jeu. Point de tartufferie quand il s'agit d'évoquer l'univers de débauche de ce XVIIIe siècle décadent et libertin si cruellement illustré par Hogarth. Contemporaines, ses images ne reculent pas devant deux corps masculins athlétiques mimant l'accouplement, ni devant les courtisanes à peu près nues, ni devant de nombreuses simulations de couples faisant l'amour. Mais seulement quand cela est en situation, voulu par le livret, le climat du texte, le moment de l'action.

    La mort omniprésente

    On semble s'être fort heureusement habitué à accepter sur une scène d'opéra ce que le cinéma, le théâtre ou la télévision, sans parler de la bande dessinée, nous montrent en permanence. C'est bien, à condition, naturellement, que ce ne soit pas simple complaisance et démagogie racoleuse sans justification réelle. Dans cet univers mené par le diable, la mort est aussi omniprésente que la luxure, avec ce squelette que l'on manipule, que l'on embrasse et qui resurgit un peu partout, avec ce sablier qui nous rappelle que le temps s'écoule inexorablement. Et puis, la scène de l'asile est réalisée, en contraste, avec une grande simplicité, reposant essentiellement sur la très subtile interprétation vocale et scénique de Toby Spence.

    Car une fois encore, l'ensemble des interprètes, chanteurs, figurants, choristes, acrobates, portent ce spectacle avec une conviction et un investissement de chaque instant. Des images fortes, souvent belles, qui tranchent avec les habituelles approches de l'oeuvre et nous confrontent à la vérité de l'oeuvre de Hogarth et de celle de Stravinski.



    Palais Garnier, jusqu'au 24 mars.




    Palais Garnier, Paris
    Le 03/03/2008
    GĂ©rard MANNONI

    Nouvelle production du Rake's Progress de Stravinski mise en scène par Olivier Py et sous la direction d'Edward Gardner à l'Opéra de Paris.
    Igor Stravinski (1882-1971)
    The Rake's Progress, opéra en trois actes (1951)
    Livret de Hugh Auden et Chester Kallman, inspiré d'une série de peintures homonymes de William Hogarth.

    Choeurs et Orchestre de l'Opéra national de Paris
    direction : Edward Gardner
    mise en scène : Olivier Py
    décors et costumes : Pierre-André Weitz
    préparation des choeurs : Winfried Maczewski

    Avec :
    René Schirrer (Trulove), Laura Claycomb (Ann Trulove), Toby Spence (Tom Rakewell), Laurent Naouri (Nick Shadow), Hilary Summers (Mother Goose), Jane Henschel (Baba the Turk), Ales Briscein (Sellem), Ugo Rabec (Keeper of the madhouse).

     


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