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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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8e symphonie de Mahler par l'Orchestre de Paris sous la direction de Christoph Eschenbach au Palais Omnisports de Bercy, Paris.
Huit mille auditeurs pour un monument
Le gigantisme de Bercy pour une oeuvre gigantesque : c'était la gageure de l'Orchestre de Paris. Un pari réussi puisque, ce jeudi soir, quelque huit mille personnes se massent dans le POPB pour entendre la 8e symphonie de Mahler, qui, selon le maestro Christoph Eschenbach, est à la fois la passion du chef d'orchestre et le cauchemar du producteur.
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Ce concert événement l'était à plus d'un titre. Il célèbre le quarantième anniversaire de la formation parisienne, concrétise une ambition européenne et met en évidence le développement d'actions pédagogiques menées auprès des enfants et des jeunes musiciens formés par l'Académie de l'Orchestre de Paris.
En effet, en dehors de la Maîtrise de Radio France, quatre choeurs d'enfants ont été réunis pour travailler la 8e symphonie de Mahler depuis le début de l'année scolaire. Les choeurs d'adultes rassemblent celui de l'Orchestre de Paris, le Wiener Singverein ainsi que le London Symphony Chorus : une idée de l'Europe musicale avec un regret, que ce concert n'ait pu être également programmé dans d'autres capitales.
Le protectionnisme culturel est encore grand dans le milieu des organisateurs de concerts. Au total, huit cents interprètes, presque autant que lors de la création de l'oeuvre, le 12 septembre 1910 à Munich. On sait que son titre, « des Mille », n'est pas dû à Mahler, mais a été trouvé par l'impresario qui organisa la première exécution et souhaitait dans un but publicitaire évoquer les effectifs considérables que nécessite la partition.
Difficile aujourd'hui de loger tant de monde sur une scène parisienne. C'est pourquoi Georges-François Hirsch, directeur administratif de l'orchestre, avait choisi Bercy, salle qui convient mieux aux concerts de rock et de variété qu'à la subtilité de la musique classique. Et l'acoustique n'est pas celle à laquelle nous a habitués le nouveau Pleyel. D'autant que pendant la première partie, la soufflerie de la climatisation trouble légèrement nos oreilles.
La sonorisation en revanche semble parfaitement au point. Elle différencie les masses orchestrales et vocales, on entend le son et le chant d'où ils proviennent réellement. C'est l'une des premières heureuses surprises de la soirée, la seconde étant la parfaite homogénéité de l'ensemble. Ce n'est pas si facile quand les interprètes sont issus de tant d'horizons différents.
L'enchaînement des deux textes, le Veni creator en latin et la scène finale du Second Faust de Goethe en allemand, avec de nombreux points communs, répond à la volonté de Mahler de célébrer un hymne à la joie, à l'esprit, à la transcendance d'un monde où l'essentiel dépasse les apparences. La joie transparaît dans les masses chorales de cette symphonie écrite à part égale pour solistes, choeurs et orchestre.
Accueil triomphal pour Christoph Eschenbach qui, en chef d'armée ferme et avisé, mène admirablement et sans effet ses troupes, tout en finesse et en souplesse. Cela déconcerte d'ailleurs une partie du public, peu habitué, qui s'attendait surtout à du spectaculaire.
Une certaine déception provient en revanche de la conception plastique d'Ange Leccia qui, sur trois immenses écrans, fait défiler des suites de cumulonimbus, de jets d'eau et autres vagues d'une banalité qui n'est pas à la hauteur du talent habituel de cet artiste. Néanmoins, une belle image marque la soirée, celle de la soprano Marisol Montalvo qui, de blanc vêtue, en Mater Gloriosa, entonne « élève-toi vers les sphères suprêmes ! » On y est, dans le silence impressionnant d'une foule de spectateurs retenant leur souffle.
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Pari gagné
L'enjeu était de taille, le défi à quitte ou double. La 8e symphonie de Mahler dans le Palais Omnisports de Bercy, pour un public sans doute majoritairement étranger aux grandes salles de concert classique ? Si l'on pouvait légitimement s'interroger, voire s'inquiéter quant à la qualité finale d'une indispensable sonorisation, il faut saluer cette initiative de « vulgarisation » au meilleur sens du terme, rendant accessible au plus grand nombre un véritable chef-d'oeuvre du répertoire musical servi avec les plus hautes exigences qualitatives.
Aussi éloigné des représentations pharaoniques d'opéra à degré zéro de mise en scène comme de chant, que de certains cross-over minables ne rendant justice à aucun des genres mélangés, ce projet s'avère d'une incomparable intelligence dans l'exigence, sans jamais trahir ni la lettre ni l'esprit de l'oeuvre présentée. D'aucuns crieront sans doute à l'élitisme, quand nous préférons applaudir l'audace de ce choix peu vendeur, sans doute à l'origine de l'annulation d'une des deux soirées prévues initialement, mais ne cédant jamais aux habituelles sirènes de la facilité.
Car l'Orchestre de Paris, les choeurs du Singverein de Vienne ou du London Symphony, la baguette de Christoph Eschenbach ne sont certainement pas des seconds choix. Le chef allemand propulse d'un trait dans la lumière le Veni creator, avec une précision, une densité dans la polyphonie, une absence d'emphase qui vont droit à l'essentiel et clarifient au maximum la structure, portée par une énergie vitale du plus beau rayonnement.
De même, malgré certaines langueurs à partir du Höchste Herrscherin der Welt de Doctor Marianus, malgré aussi certaines suspensions ou points d'orgue appuyés, le chemin de l'interrogation vers la lumière de la scène des Anachorètes est admirablement traduit, et Eschenbach délivre une section terminale de toute beauté, dans une envolée cosmique à donner le frisson.
Si l'Orchestre de Paris a conquis au fil des ans une patte mahlérienne dont ne peut se prévaloir aucune autre formation française, avec des cuivres rayonnants et des bois de la plus belle ouvrage – la flûte sublime de Vicens Prats –, les forces chorales en présence ne déméritent à aucun moment.
Les choeurs d'enfants, qu'on aurait souhaités un rien plus présents, sont d'une remarquable fiabilité et d'une couleur toujours séduisante, les choeurs d'adultes admirables en tous points : très en place, engagés, toniques mais aussi nuancés, et, miracle en live, parfaitement justes dans le Zieht uns hinan si périlleux des sopranos.
Seulement moyens comme neuf fois sur dix en concert dans cette oeuvre monument, les solistes font leur possible pour masquer les terribles tensions de l'écriture vocale mahlérienne. Si les voix féminines – Twyla Robinson et Erin Wall au premier chef – s'en sortent honorablement, Nikolaï Schukoff affiche un ténor poussé et ingrat, le jeune Denis Sedov l'émission ruinée d'un octogénaire.
Reste la sonorisation, peu flatteuse pour la couleur des violons mais plutôt habile dans les équilibres quoique ayant tendance à sous nuancer la partition, dont on aurait aimé sentir les impressionnants tutti remplir davantage l'espace, et la pauvreté des images données à voir sur trois écrans, qu'on eût tellement mieux employés à diffuser en direct la prestation des musiciens.
Quelques imperfections au coeur d'une soirée de démocratisation parmi les plus réussies qui se puissent imaginer.
Yannick MILLON
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Palais Omnisports de Bercy, Paris Le 06/03/2008 Nicole DUAULT |
| 8e symphonie de Mahler par l'Orchestre de Paris sous la direction de Christoph Eschenbach au Palais Omnisports de Bercy, Paris. | Gustav Mahler (1860-1911)
Symphonie n° 8 en mib majeur, « des Mille » (1906)
Twyla Robinson (soprano I / Magna Peccatrix)
Erin Wall (soprano II / Una poenitentium)
Marisol Montalvo (Mater Gloriosa)
Nora Gubish (alto I / Mulier Samaritana)
Annette Jahns (alto II / Maria Aegyptiaca)
Nikolaï Schukoff (ténor / Doctor Marianus)
Franco Pomponi (baryton / Pater ecstaticus)
Denis Sedov (basse / Pater profondus)
Maîtrise de Radio France
Choeur d'enfants l'Inchoeurigible
Choeur d'enfants Nadia Boulanger
Choeur d'enfants de Levallois-Perret
Choeur des Polysons
direction : Marie Noëlle Maerten
Wiener Singverein
direction : Johannes Prinz
London Symphony Chorus
direction : Joseph Cullen
Choeur de l'Orchestre de Paris
direction : Didier Bouture & Geoffroy Jourdain
Orchestre de Paris
direction : Christoph Eschenbach
mise en espace, coordination artistique : Stéphane Fiévet
création scénographique : Ange Leccia | |
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