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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Wozzeck de Berg mise en scène par Christoph Marthaler et sous la direction de Sylvain Cambreling à l'Opéra de Paris.
L'insoutenable quotidienneté de l'être
Simon Keenlyside (Wozzeck)
Ses Noces de Figaro, sa Traviata, sa Kátia Kabanová, son Tristan ont fait grincer bien des dents. Christoph Marthaler s'attaque cette fois à Wozzeck, dont il dépeint le quotidien avec un réalisme proche de l'insoutenable. La direction de Sylvain Cambreling et un plateau excellent en tous points renforcent l'efficacité d'un spectacle parmi les plus aboutis de l'ère Mortier à Paris.
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Comme on pouvait s'y attendre, Christoph Marthaler joue dans ce nouveau Wozzeck la carte du réalisme social contemporain, sans le misérabilisme glauque très Europe de l'est de sa Kátia Kabanová. On n'y trouvera d'ailleurs aucune noirceur gratuite, mais seulement l'illustration du désoeuvrement des cités ouvrières, qui ne laisse à l'individu d'autre perspective que la focalisation sur des crises conjugales ou relationnelles pouvant facilement virer au drame.
Dans le décor unique d'une buvette, dernier lieu de vie sociale, les prolétaires passent, s'attablent, consomment jusqu'à l'ébriété et repartent comme ils sont venus. Le pas de danse pathétique d'une pauvre fille au son des Heurigenmusiker, un Tambourmajor en skinhead bodybuildé, d'une innommable grossièreté, faisant valser Marie sur son entrejambe, l'humiliation de Wozzeck coincé à côté du piano, les deux compagnons ivrognes tout juste sortis de l'adolescence, la terrible scène du père saoulant son fils de dix ans jusqu'au coma éthylique participent à une peinture à la Zola.
Bien sûr, en bon metteur en scène à univers, Marthaler a ses tics et du coup Wozzeck ses tocs, en agent de sécurité débarrassant les tables, faisant la chasse à des miettes imaginaires, alignant verres et chaussures avec des gestes compulsifs. De même, on retrouve une ribambelle de figurants, ici pour l'essentiel des enfants jouant qui à la balançoire, qui au trampoline, ainsi qu'un pianiste névrosé et des costumes d'une ringardise délibérée.
Partant de situations on ne peut plus communes, le metteur en scène suisse réussit cependant une montée en tension progressive où chaque détail trouve sa cohérence dans l'ensemble. Reste toutefois l'après-meurtre de Marie, où, passée la catastrophe, l'équipe scénique semble démissionner et annoncer la fin du théâtre : la scène de l'étang se déroule entièrement dans le noir, puis la lumière revient sur les enfants attablés, immobiles dès l'interlude en ré mineur – avec la très mauvaise idée selon nous de donner leurs différentes répliques en choeur. Mais dans ce microcosme, la prédétermination guette toujours : le fils de Wozzeck dit ses « hopp, hopp ! » avachi contre le piano où son père avait été rudoyé.
Une vision forte et un vrai travail de théâtre, que porte au pinacle une distribution d'un niveau inespéré. Pour sa prise de rôle, Simon Keenlyside est l'un des Wozzeck les plus complets et inspirés qui soient. Dans l'optique des barytons clairs, tellement plus en voix qu'un Dietrich Henschel, il use de tout son art du phrasé, du recours ou non au vibrato, d'un timbre bien frappé et d'une émission qui passe admirablement la rampe, dans une incarnation qui confirme une polyvalence des plus rares – d'Orfeo à Pelléas, de Pelléas à Wozzeck.
Impact foudroyant
Angela Denoke est une Marie intérieurement brisée dès sa première apparition – ses « Tschin Bum ! » au bord du gouffre –, aux intentions toujours justes et très habile dans le Sprechgesang, parvenant à canaliser au mieux un vibrato trop ample. Dans ce plateau aux voix presque surdimensionnées, où l'on chante beaucoup sans jamais perdre le texte, le Capitaine de Gerhard Siegel, qu'on peut préférer plus bouffe et moins héroïque, est d'un impact foudroyant, qui pourrait sans peine tenir le rôle du Tambourmajor, confié ici à un Jon Villars dont on n'a jamais si bien exploité les tonitruances.
De médium toujours serré, David Kuebler est un Andres précis dans ses rythmes et intervalles populaires, qui délivre les aigus assassins du bal avec une aisance déconcertante, Roland Bracht un Docteur gérant au mieux ses sauts de tessiture et d'une belle présence vocale. Une Margret, des compagnons et un Idiot de premier choix viennent parachever le tout.
Enfin, la direction de Sylvain Cambreling, analytique et d'une impitoyable clarté, assez lente mais jouant admirablement des effets de masse comme de musique de chambre, porte l'Orchestre de l'Opéra aux sommets. Même si l'on aurait aimé ici où là accents plus tranchants et emportés – dans le premier interlude du II par exemple – cette lecture orchestrale, pas même perturbée par la rupture d'une corde de la harpe d'Emmanuel Ceysson, n'est digne que d'éloges.
Une production parmi les plus abouties du mandat de Gerard Mortier, qui au-delà même de ses qualités intrinsèques aura réussi l'exploit de faire taire aux saluts du tandem Marthaler-Cambreling les mauvais coucheurs habituels.
Opéra Bastille, jusqu'au 19 avril.
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Opéra Bastille, Paris Le 29/03/2008 Yannick MILLON |
| Nouvelle production de Wozzeck de Berg mise en scène par Christoph Marthaler et sous la direction de Sylvain Cambreling à l'Opéra de Paris. | Alban Berg (1885-1935)
Wozzeck, opéra en trois actes op. 7 (1925)
Livret du compositeur d'après la pièce de Georg Büchner
Maîtrise des Hauts-de-Seine / Choeur d'enfants de l'Opéra national de Paris
Choeurs et Orchestre de l'Opéra national de Paris
direction : Sylvain Cambreling
mise en scène : Christoph Marthaler
décors et costumes : Anna Viebrock
Ă©clairages : Olaf Winter
préparation des choeurs : Winfried Maczewski
Avec :
Simon Keenlyside (Wozzeck), Jon Villars (Tambourmajor), David Kuebler (Andres), Gerhard Siegel (Hauptmann), Roland Bracht (Doktor), Angela Denoke (Marie), Ursula Hesse von den Steinen (Margret), Patrick Schramm (Erster Handwerksbursch), Igor Gnidii (Zweiter Handwerksbursch), John Graham-Hall (Der Narr), Se-Jin Hwang (Ein Soldat). | |
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