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CRITIQUES DE CONCERTS |
30 octobre 2024 |
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Nouvelle production du Rake's Progress de Stravinski mise en scène par Carlos Wagner et sous la direction de Nicolas Chalvin à Angers Nantes Opéra.
Rake's Progress, troisième !
Gilles Ragon (Tom Rakewell)
C'est l'opéra à la mode. The Rake's Progress de Stravinski est pour la troisième fois à l'affiche depuis la rentrée sur une scène française. Après le Théâtre des Champs-Élysées et l'Opéra national de Paris, c'est le Théâtre Graslin qui entre en jeu avec la production d'Angers Nantes Opéra créée début mars à Angers. Une réalisation très convaincante.
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Coproduite par Angers Nantes Opéra et l'Opéra de Rennes, présentée déjà à Angers et à Rennes, cette production a poursuivi sa route jusqu'au si beau Théâtre Graslin de Nantes. Et avec un égal succès. Le travail réalisé par Carlos Wagner pour la mise en scène, par Conor Murphy pour les décors et les costumes et par Norbert Chmel pour les éclairages a le grand mérite d'être à la fois original, homogène, parfaitement lisible et fidèle à l'esprit de l'oeuvre.
Carlos Wagner a su s'éloigner juste assez de la lettre pour donner un éclairage personnel à l'histoire et aux personnages, sans jouer les iconoclastes irraisonnés. Il traite bien cet opéra décidément très particulier dans le ton d'une fable morale voltairienne, en la laissant dans les données du genre avec des moyens certes moins opulents que ceux dont disposait Olivier Py à l'Opéra de Paris, mais dans un esprit finalement assez proche, évitant le leurre de la comédie musicale comme l'avait tenté André Engel au Théâtre des Champs-Élysées.
Un dispositif scénique habile, jouant sur les possibilités offertes par une tournette des plus efficaces, lui permet de changer de lieu en restant sur place, de donner l'illusion de multiples déplacements, d'évoquer, grâce à quelques accessoires bien choisis et à des éclairages très vivants aussi bien la campagne que le bordel de Mother Goose, le tumulte de la vente aux enchères, les portes de l'Enfer ou l'asile de fous.
Tout cela est, comme dans toute vraie bonne mise en scène, bâti sur une direction d'acteurs qui ne laisse rien au hasard et s'intéresse aux choeurs autant qu'aux solistes. Il n'y a pas de contre-portraits, mais chaque personnage a néanmoins une originalité qui amuse ou étonne. Ann qui part à la recherche de Tom avec son petit sac à dos, la manière dont Shadow devient mine de rien de plus en plus menaçant et dominateur, celle dont Tom se laisse berner avec complaisance, tout cela – et cent autres options – fonctionne à la perfection.
Omniprésents et toujours différents dans leur apparence et leur jeu, les choeurs sont réglés de telle manière qu'ils apparaissent comme un série d'individualités. Du noir, du blanc, beaucoup de jeux de lumières pour compenser la rigueur du décor et apporter une note magique, cette économie de moyens met en valeur le moindre changement de costume, la moindre tâche de couleur. Et puis, il y a de vraies trouvailles, comme ces trous noirs d'où émergent Shadow et souvent les autres personnages, ou la scène de l'asile, aussi émouvante que théâtralement efficace.
Un Nick Shadow de la plus belle composition
Si la direction musicale de Nicolas Chalvin ne marque pas beaucoup les esprits, on apprécie une partie de la distribution, dominée par le Nick Shadow du jeune baryton-basse autrichien Josef Wagner, silhouette élancée, agile, voix d'excellente qualité, bien en place, bien employée, avec un sens aigu de ce qu'est une composition dramatique. L'avenir est à lui !
Gail Pearson est irréprochable en Ann Trulove, avec la fraîcheur et l'intériorité voulues. Brian Bannatyne-Scott campe un papa Trulove adéquat et Christopher Lemmings un commissaire priseur bien présent, même s'il le joue plus qu'il ne le chante. C'est aussi le cas de Linda Ormiston, Mother Goose quasiment sans voix mais drôle, et d'Ann McMahon Quinterro, truculente Baba la Turque sans barbe, en petite forme vocale.
Et Tom lui-même ? On voudrait pouvoir évoquer Gilles Ragon sans restrictions tant il s'investit avec ferveur dans le rôle, mais il faut bien reconnaître qu'il n'y est pas trop à l'aise vocalement. La voix semble forcée, et perd le charme de son timbre. Pas assez de nuances aussi, avec une tendance à tout chanter à plein gosier, et pas toujours parfaitement juste.
Pourtant, le personnage existe, car les qualités artistiques et l'expérience du ténor sont là . On voudrait que la voix suive mieux les intentions. Il est vrai qu'après l'incarnation à tous égard quasi idéale de Toby Spence à l'Opéra de Paris, la tâche était rude. Peut-être Ragon aborde-t-il l'ouvrage un peu tard dans sa carrière ?
Très gros succès en tout cas, devant un public en bonne partie jeune, qui sait, remarquons-le, très bien doser l'applaudimètre, réservant le meilleur accueil à ceux qui le méritaient.
Théâtre Graslin, jusqu'au 12 avril.
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