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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production du Prisonnier de Dallapiccola mise en scène par LluĂs Pasqual et sous la direction de Lothar Zagrosek Ă l'OpĂ©ra de Paris.
Un opéra de la cruauté
Evgeny Nikitin (le Prisonnier)
Encore une partition majeure du XXe siècle que ce Prisonnier à l'affiche de l'Opéra national de Paris. Une soirée forte au Palais Garnier, dominée par l'oeuvre de Luigi Dallapiccola qui donne, après le Wozzeck d'Alban Berg, une vision complémentaire des côtés les plus sombres de l'âme humaine, un peu curieusement assortie à l'Ode à Napoléon d'Arnold Schönberg.
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Inspiré à Dallapiccola par certains épisodes de sa jeunesse et surtout par les ravages du fascisme au milieu du XXe siècle, créé en 1950 sur un livret que le compositeur écrivit essentiellement à partir de la Torture par l'espérance de Villiers de l'Isle-Adam, le Prisonnier prend le personnage de Philippe II d'Espagne et son Grand Inquisiteur comme images symboliques de toutes les tyrannies.
Figure historique très controversée que ce souverain souvent récupéré par le théâtre, l'opéra ou le cinéma, roi inquiétant mais quand même humain chez Schiller et Verdi, souverain veule dans les films récents relatant la vie d'Elizabeth Ire, ombre démoniaque à l'arrière-plan du Prisonnier. Dallapiccola l'a pris, par le truchement de son Grand Inquisiteur, comme élément moteur de cette torture par l'espérance, sorte de degré ultime de ce que l'homme peut employer pour écraser, détruire jusqu'à l'âme ses semblables. Dans la plupart des conflits de tous les temps, on en vient toujours à un degré supplémentaire de cruauté où la souffrance physique ne suffit plus, où il faut détruire aussi l'esprit.
C'est un thème qui est aussi au coeur de Wozzeck, même si la violence physique directe n'y est abordée que marginalement. La violence psychologique n'en est pas moins totalement inhumaine. Dallapiccola a su, avec peu de personnages et sur une durée brève, à peine cinquante minutes, établir un des plus forts réquisitoires contre ces entreprises de destruction de l'homme dont tant d'exemples se manifestent encore aujourd'hui.
La musique, tant dans son Ă©criture orchestrale que vocale, a une puissance magistrale. Il n'y a rien de trop, juste ce qu'il faut pour que chaque coup porte de manière effroyable. On plonge certes d'emblĂ©e dans l'Ă©motionnel avec le monologue de la mère, mais les images très agressives conçues par LluĂs Pasqual dès que l'on est dans la prison, avec leur cĂ´tĂ© sado-maso provocant, donnent vite leur vraie dimension aux scènes qui vont suivre.
Car le spectacle est très habilement construit autour d'une sorte de Tour de Babel métallique, à l'intérieur et autour de laquelle s'organise l'action. Quelle intelligente symbolique que celle de cette tour défi à Dieu, présente ici, dans une demi-obscurité, comme une sinistre carcasse offrant de multiples possibilités d'apparitions et de disparitions, et naturellement apte à attirer le héros vers les hauteurs de sa fausse liberté ! Mise en scène, décor, costumes sont une vraie réussite, aux effets soigneusement calculés, dosés, exploités.
Tous les interprètes sont magnifiques, de Rosalind Plowright, mère déchirante et déchirée, à Evgeny Nikitin, d'un impact vocal et scénique imparable, en passant par le geôlier-inquisiteur d'un Chris Merritt qui trouve décidément dans ce genre de rôle les chemins d'une étonnante deuxième carrière. Sous la baguette de Lothar Zagrosek que l'on n'avait pas vu à ce pupitre depuis longtemps, l'Orchestre de l'Opéra est splendide à tous égards, comme c'est devenu son habitude.
Diatribe haineuse
L'oeuvre étant particulièrement courte, elle est précédée de l'Ode à Napoléon de Byron que Schönberg mit en musique, lui aussi comme un pamphlet contre toutes les dictatures. Mais les vers de Byron paraissent aujourd'hui à la limite du ridicule dans cette diatribe haineuse et immodérée contre l'Empereur au lendemain de sa chute. Ils expriment encore plus la terreur que Napoléon inspira au peuple britannique que le rejet de tous les totalitarismes.
La musique, conçue pour quatuor à cordes et piano est en revanche d'un grand intérêt, surtout jouée comme elle le fut par Frédéric Laroque, Vanessa Jean, Laurent Verney, Martine Bailly et Christine Lagniel. Il fallait néanmoins trouver une idée scénique qui compense le côté assez décalé de l'oeuvre dont l'écriture vocale est une sorte de déclamation qui se rapproche du Sprechgesang sans en être vraiment.
LluĂs Pasqual a choisi de prĂ©senter le rĂ©citant Dale Duesing en Ange bleu style Marlène ou Cabaret, travesti qui va peu Ă peu troquer corset, bas noirs et perruque blonde pour le pyjama rayĂ© des dĂ©portĂ©s, donnant ainsi l'illusion d'une Ă©volution bien inexistante dans le texte. Les images retiennent l'attention, sans parvenir pour autant Ă convaincre du cĂ´tĂ© indispensable de ces quinze minutes de prologue Ă un vrai chef-d'oeuvre comme le Prisonnier.
Palais Garnier, jusqu'au 6 mai.
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Palais Garnier, Paris Le 10/04/2008 GĂ©rard MANNONI |
| Nouvelle production du Prisonnier de Dallapiccola mise en scène par LluĂs Pasqual et sous la direction de Lothar Zagrosek Ă l'OpĂ©ra de Paris. | Arnold Schönberg (1874-1951)
Ode à Napoléon, pour récitant, piano et quatuor à cordes op. 41
Texte de Lord Byron
Dale Duesing, récitant
Frédéric Laroque, Vanessa Jean, violons
Laurent Verney, alto
Martine Bailly, violoncelle
Christine Lagniel, piano
Luigi Dallapiccola (1904-1975)
Il Prigioniero, opéra en un prologue et un acte (1950)
Livret du compositeur d'après la Torture par l'espérance d'Auguste de Villiers de l'Isle-Adam et la Légende d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak de Charles de Coster.
Choeurs et Orchestre de l'Opéra national de Paris
direction : Lothar Zagrosek
mise en scène : LluĂs Pasqual
dĂ©cors : Paco AzorĂn
costumes : Isidre Prunés
Ă©clairages : Albert Faura
préparation des choeurs : Alessandro di Stefano
Avec :
Rosalind Plowright (La Madre), Evgeny Nikitin (Il Prigioniero), Chris Merritt (Il Carceriere / Il Grande Inquisitore). | |
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