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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Lohengrin de Wagner mise en scène par Daniel Slater et sous la direction de Leif Segerstam au Grand Théâtre de Genève.
Un Lohengrin d’orfèvre
Petra Lang (Ortrud)
Objet d’une sévère bronca le soir de la première, le nouveau Lohengrin du Grand Théâtre de Genève n’a pourtant pas de quoi fouetter un wagnérien. Si la mise en scène de Daniel Slater reste au contraire bien sage, la direction minérale et d’un raffinement inouï de Leif Segerstam porte au firmament un plateau d’une superbe qualité.
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Bien connue dans le monde lyrique, la vieille garde wagnérienne a coutume de pousser des cris d’orfraie à la moindre occasion. Ainsi, le soir de la première, les huées ne manquaient pas au tomber de rideau du nouveau Lohengrin présenté ce mois-ci au Grand Théâtre de Genève. Pourtant, comparée à tant d’autres, la transposition de l’action dans une dictature militaire par Daniel Slater n’a rien de choquant et reste même très sage, sans recourir aux sempiternelles croix gammées ou autres bruits de bottes.
On retiendra au contraire l’efficacité de la scène nocturne du II dans un squat où sont bannis Ortrud et Telramund, ainsi que de l’espace confiné de la nuit de noces rappelant la chambre du Tristan d’Olivier Py et laissant présager que le premier moment d’intimité entre les amants sera aussi leur dernier. Image forte également que cette Elsa prostrée sur sa chaise devant le cadavre de Telramund se vidant de son sang sur le lit nuptial, transfert de l’amour perdu du Chevalier au cygne.
Dans cette société constamment sur le pied de guerre, fière de pouvoir grâce à l’étranger sans nom accrocher de nouveau son écusson au-dessus de l’immense porte à jardin, le dénouement sur le jeune Gottfried trop frêle pour porter l’épée est parfaitement signifiant. Pour sûr inabouti – un certain statisme, les attitudes outrées répétées des Brabançons, le défilé de Miss au petit QI du cortège d’Elsa –, le travail du metteur en scène britannique n’a en tout cas rien de déshonorant.
Mais c’est au niveau musical que ce Lohengrin aura joué son plus bel atout. Pièce maîtresse de l’échiquier, la direction de Leif Segerstam, réconciliant temps et espace dans une lecture minérale, d’une pureté adamantine, qui exigera sans doute des amoureux de la tradition quelque ajustement psychologique. Le prélude, d’une lenteur hypnotique, dépeint un univers polaire à la Tapiola, nimbant d’un givre de la plus belle orfèvrerie les évocations du Graal.
Faisant flèche de tout bois, le chef finlandais travaille l’aération de la texture, le millimétrage de l’intonation avec une précision toute nordique. L’OSR, qu’on a rarement entendu si bien sonnant, affiche des cuivres d’un équilibre, d’une plénitude maîtrisée qui sont ce soir d’un instrument wagnérien de choix. Une vision chambriste comme peu d’autres, qui à aucun moment ne déborde le plateau.
Des voix superbement Ă©panouies
Sur ce tapis somptueux – le chœur est lui aussi d’une exactitude enviable –, la distribution n’a qu’à s’épanouir, la relative retenue des tempi pouvant seule demander des efforts aux chanteurs. Éliminons d’emblée le Telramund à contre-courant des options du chef de Jukka Rasilainen, vulgaire et faux, dont le mordant du timbre est toujours mal employé, pour retenir cinq protagonistes d’un tout autre niveau.
Soile Isokoski est une Elsa prodigieuse de soyeux, de legato, de lumière opalescente, de frémissements, avec un grave idéal de grain et des intentions sublimes – le Ja en réponse au roi au I, le Soll meine Liebe steh’n en conclusion du II. Pour se marier au mieux à ce chant céleste, Petra Lang chante Ortrud en belcantiste, en canalisant au maximum par des sons petits et centrés une émission d’ordinaire infiniment plus enrobée. Si ce médium clair étonne, des aigus coupants et parfaitement assurés, jamais vociférés, lui valent la plus belle ovation aux saluts.
Sans être du même rayonnement, Christopher Ventris possède un timbre jeune et franc, toujours très net. Lui manquent encore pour être un grand Lohengrin l’art de la déclamation – un allemand assez linéaire, aux « r » trop rétroflexes – et l’endurance au III – certains aigus des récits frôlent la dérobade. Enfin, magnifiquement chantant, d’une voix jamais grossie – comme l’ensemble du plateau –, le Roi Heinrich de Georg Zeppenfeld est un modèle de noblesse et d’autorité naturelles, bien relayées par le Héraut très décidé de Detlef Roth.
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