|
|
CRITIQUES DE CONCERTS |
21 novembre 2024 |
|
Reprise de I Capuleti e i Montecchi de Bellini dans la mise en scène de Robert Carsen, sous la direction d’Evelino Pidò à l’Opéra de Paris.
L’Enfer, c’est les autres
Cette reprise à la Bastille de I Capuleti e i Montecchi de Bellini dans la mise en scène largement illustrative de Robert Carsen bénéficie d’une distribution digne de tous les éloges, où brillent particulièrement le Roméo de Joyce DiDonato et la Juliette de Patricia Ciofi, sous la direction attentive du chef italien Evelino Pidò.
|
|
Lights, camera, action !
Vigueur et courants d’air
En passant par la mort
[ Tous les concerts ]
|
Prenant ses distances vis-à -vis de l’œuvre de Shakespeare, l’opéra de Bellini I Capuleti e i Montecchi privilégie la lutte politique à Vérone des Capulets et des Montaigus sur la passion contrariée vécue par Roméo et Juliette. La mise en scène de Robert Carsen où le manichéisme des situations prévaut ne laisse planer aucun doute quant à l’issue fatale. Le rouge et le noir des Guelfes et des Gibelins font écran à la blancheur si naïve de l’héroïne.
Un travail qui tient toutefois davantage de l’illustration que de la performance scénique, mais qui fait preuve d’efficacité sans chercher à séduire. L’opposition entre lumière et ombre, jour et nuit, vie et mort, contribue à donner une impression forte comme l’enfermement auquel tous les protagonistes sont confrontés à l’image de la cellule de Juliette.
Stravinski prétendait que Bellini « avait reçu la mélodie sans avoir eu la peine de la demander, comme si le Ciel lui avait dit : je te donne tout juste ce qui manque à Beethoven ». Sans être la partition la plus élaborée du compositeur sicilien, par la caractérisation des personnages, l’attention portée aux voix, le lien entre la parole et la musique, l’exacerbation des sentiments, les Capulets et les Montaigus s’inscrit dans la meilleure veine dramatique.
La soprano italienne Patrizia Ciofi, qui pour trois représentations assure le remplacement d’Anna Netrebko, est une Giulietta convaincante et fragile, possédant sur le plan vocal la perfection belcantiste et cet art de prolonger les mélodies « longues, longues, longues » dont parlait Verdi et qui séduisirent tant Chopin et même Wagner. L’Opéra Bastille est peut-être surdimensionné pour cette interprète subtile capable d’émettre les sons les plus ténues avec émotion – O quante volte est à cet égard une splendeur –, mais l’appropriation tant théâtrale que vocale qu’elle réalise a une valeur d’authenticité assez rare aujourd’hui.
Dans le rôle travesti de Romeo, Joyce DiDonato prouve une nouvelle fois son aptitude d’adaptation aux situations les plus redoutables : elle campe le personnage avec tant de naturel que l’on en oublie l’artifice. Elle n’éprouve jamais de difficultés à évoluer dans les registres aussi étendus qui se situent entre contralto et mezzo ; l’ambitus de sa tessiture lui permet de réaliser parfaitement les grands écarts semés en chemin par Bellini entre le grave et l’aigu sans qu’elle ne donne jamais l’impression de forcer.
Les hommes ne sont pas en reste : le Tebaldo du ténor américain Matthew Polenzani réussit à tirer son épingle du jeu par l’élégance du timbre et une caractérisation crédible de cet amoureux éconduit ; les basses Mikhaïl Petrenko en Lorenzo et Giovanni Battista Parodi en Capellio se contentent sans démériter d’apporter leurs beaux graves au déroulement de l’action.
Dans la fosse, Evelino Pidò joue sur du velours avec un Orchestre de l’Opéra souple et réceptif – les interventions de la clarinette sont d’une expressivité à sa pâmer. Plus apte à l’accompagnement qu’à l’exaltation – le tempérament de Pidò ne le porte pas à l’extériorisation –, le chef italien gagne en flexibilité et en ductilité par rapport à la création de 1996, mais ne rejoint jamais dans la réussite cette fibre consubstantielle aux plus grands belliniens – Serafin, Abbado, et surtout Muti, plus incomparable encore dans ce répertoire que dans Verdi.
| | |
| | |
|