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CRITIQUES DE CONCERTS |
22 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Fidelio de Beethoven mise en scène par Andreas Baesler et sous la direction de Marc Albrecht à l’Opéra du Rhin.
Un Fidelio d’orchestre
Jorma Silvasti (Florestan) et Anja Kampe (Leonore)
Sous la chaleur d’un début d’été brutal, l’Opéra du Rhin termine sa saison par une nouvelle production de Fidelio. L’occasion d’assister aux débuts dans la fosse de la capitale européenne du fulgurant Marc Albrecht, qui rythme à lui seul et malgré le choix dépassé de l’insertion de Leonore III un spectacle habile mais sage et un plateau très moyen.
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Avec son écriture vocale utopique, traitant les chanteurs de manière instrumentale, Fidelio demeure particulièrement périlleux à distribuer. Reconnaissons aussi qu’il fallait toute l’abnégation du monde pour réussir, sous d’épais costumes, à chanter dignement dans la moiteur tropicale de la salle de l’Opéra de Strasbourg, où la climatisation fait cruellement défaut en cette soirée du 21 juin.
Toujours est-il que le plateau de ce nouveau Fidelio s’avère rarement à la hauteur. Voix solide mais qui bouge, au grain juste assez sombre pour sonner dramatique, Anja Kampe fait preuve d’une belle conviction et réussit plutôt bien son air, mais le timbre manque de séduction, et un important vibrato prive sa Leonore des suspensions, des nécessaires attendrissements dans la mezza-voce.
Étranglé dans l’aigu et à bout comme tant d’autres dans la tessiture insensée des dernières mesures de Gott, welch Dunkel hier !, le Florestan de Jorma Silvasti, convaincant dans son désespoir, est handicapé par une émission complètement ouverte et un vibrato-trémolo envahissant. Jyrki Korhonen a la fibre paternelle et rustique des bons Rocco, et la couleur, l’émission parfois nasalisée évoquent souvent Matti Salminen, mais avec des moyens infiniment plus minces tant dans l’ampleur que dans un aigu toujours feint.
Si impressionnant en Klingsor, en Telramund, John Wegner n’est ce soir que l’ombre de lui-même en Don Pizarro cantonné aux effets expressionnistes, rappelant les mauvais côtés – le monolithisme, l’allemand écartelé – d’un Falk Struckmann, sans la présence du timbre et la projection de ce dernier. Solide sinon particulièrement subtil, Patrick Bolleire est un bon Fernando, tandis que Christina Landshamer n’offre qu’une Marzelline bien raide et au timbre lambda. Il est jusqu’à l’excellent Sébastien Droy d’afficher un Jaquino éteint.
Pourtant, chacun est investi dans la mise en scène d’Andreas Baesler, habilement transposée dans la bureaucratie de l’Allemagne de l’entre-deux-guerres, à la scénographie toujours porteuse – casiers étagés à l’infini, machines à écrire et autres lampes d’interrogatoire – suggérant un état policier sans jamais enfoncer le clou – ni svastikas ni pas de l’oie vus mille fois – pour à l’inverse au final, une fois le décor ébranlé à l’arrivée du deux ex machina Don Fernando, braquer en un aveuglant avertissement les projecteurs vers la salle : gare, public, la tyrannie, l’arbitraire ne sont jamais loin !
De même, les citations de Kafka projetées sur le rideau de scène, le cachot-bunker de Florestan où atterrissent par une trappe les uniformes des détenus préalablement triés par une Marzelline suicidaire, l’apparition depuis les cintres, lors de la promenade des prisonniers, de vêtements civils évoquant tant la possible liberté qu’une mort concentrationnaire donnent une vraie force visuelle à un spectacle moyennement régi quant à la direction d’acteurs et à l’occupation de l’espace.
Au-delà de la partie scénique, qui nécessite au passage une légère adaptation des dialogues, c’est la direction de Marc Albrecht qui donne vie à cette soirée lyrique. Chambriste, analytique, détaillé, nerveux, parfois roide et sans alanguissement aucun, le geste dégraissé du chef allemand se situe nettement plus dans la tradition alla Fricsay du Singspiel que dans l’anticipation wagnérienne, et transcende un Orchestre philharmonique de Strasbourg soigné et ductile comme rarement.
La pulsation toujours relancée, le travail d’orfèvre sur les passages mystérieux – quatuor, sortie des cachots, introduction du II – l’énergie frondeuse des scènes dramatiques ou de foule, servies de surcroît par un chœur excellent, concourent à un magnifique métier de fosse déjà constaté à Bayreuth et à la Bastille.
On regrettera seulement la pratique d’un autre âge qui consiste à intercaler in scena l’ouverture Leonore III entre le duo d’amour et la scène finale – qui plus est avec la méchante coupure de l’introduction de cette dernière –, redondante à cet endroit en ce qu’elle était conçue pour introduire une synthèse de l’opéra, ainsi que le ton hâbleur de la fin du dernier chœur, prise à un train d’enfer compromettant une cohésion plateau-fosse jusqu’alors irréprochable et terminant sur une note forcée une évocation de la joie autrement probante dans un tempo moins échevelé.
Mais qu’on se rassure, voilà un Fidelio d’orchestre comme on n’en avait entendu depuis longtemps !
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Opéra du Rhin, Strasbourg Le 21/06/2008 Yannick MILLON |
| Nouvelle production de Fidelio de Beethoven mise en scène par Andreas Baesler et sous la direction de Marc Albrecht à l’Opéra du Rhin. | Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Fidelio, opéra en deux actes (1814)
Livret de Josef Sonnleitner, Stefan von Breuning et Georg Friedrich Treitschke d’après le mélodrame Léonore ou l’amour conjugal de Jean-Nicolas Bouilly.
Chœurs de l’Opéra national du Rhin
Orchestre philharmonique de Strasbourg
direction : Marc Albrecht
mise en scène : Andreas Baesler
décors : Andreas Wilkens
costumes : Gabriele Heimann
Ă©clairages : Max Keller
préparation des chœurs : Michel Capperon
Avec :
Leonore (Anja Kampe), Jorma Silvasti (Florestan), Jyrki Korhonen (Rocco), John Wegner (Don Pizarro), Christina Landshamer (Marzelline), Sébastien Droy (Jaquino), Patrick Bolleire (Don Fernando), André Schann (premier prisonnier), Jean-Philippe Emptaz (deuxième prisonnier). | |
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