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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Création au festival d’Aix-en-Provence 2008 du Zaïde de Mozart mis en scène par Peter Sellars, sous la direction de Louis Langrée.
Aix 2008 (5) :
Zaïde tolérance zéro
Festival Mozart s’il en est, Aix-en-Provence n’avait jamais affiché Zaïde, Singspiel inachevé dont les échos irrigueront jusqu’à la Flûte enchantée, par-delà l’Enlèvement au sérail qui lui ressemble tant. Peter Sellars n’y a malheureusement vu qu’un prétexte à la dénonciation, pesante et démagogique, des esclavages modernes. Dans la fosse, Louis Langrée n’en peut mais.
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Théâtre de l’Archevêché, Aix-en-Provence
Le 18/07/2008
Mehdi MAHDAVI
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Voici quelques années, nous reprochions à Ton Koopman, qui s’était alors érigé en champion de Zaïde, de n’y voir qu’une charmante bluette aux relents de bouffonnerie exotique, contredisant Mozart lui-même qui écrivait à son père, alors qu’il s’apprêtait à recevoir de Gottlieb Stephanie le livret d’une nouvelle turquerie, que l’œuvre « ne [convenait] simplement pas au public viennois, qui [avait] plus de goût pour les comédies ». Goût qu’allait justement satisfaire le pétulant duo formé par Blonde et Osmin dans l’Enlèvement au sérail.
Avec cette production créée dans le cadre des Wiener Festwochen en mai 2006, Peter Sellars pèche par excès inverse. C’est alourdir le propos, certes imprégné des idéaux maçonniques libertaires et égalitaires de l’Aufklärung, tant de lui adjoindre un colloque pour en finir avec l’esclavage, avec force témoignages de victimes de ses formes actuelles recueillis par l’association marseillaise Esclavage Tolérance Zéro reproduits dans la programme, que d’en faire le symbole, ud et chœur de jeunes issus de milieux associatifs à l’appui, d’un estimable mais utopique métissage culturel. C’est surtout enfoncer non sans naïveté ni démagogie des portes ouvertes devant un parterre de happy few ayant déboursé jusqu’à 210€ pour écouter la musique du divin Mozart bercés par la brise estivale.
Écoutons cette spectatrice, sans doute fidèle festivalière, sincèrement dépitée : « Je n’aime pas cette mise en scène. Elle me met mal à l’aise ». Si seulement ! aurions-nous été tenté de lui répondre. Car passé le malaise initial suscité par l’atelier carcéral conçu par George Tsypin, ces bruits de chaînes et de serrure, ce fracas de tôle qui s’immiscent dans la musique, ces lumières soudain aveuglantes, la répétition de ces effets déstabilisateurs agace, puis lasse. Si bien qu’à la sortie du Théâtre de l’Archevêché, la conscience que Sellars a souhaité éveiller chez les spectateurs semblait déjà endormie.
Il est vrai que, confronté à l’inachèvement de l’œuvre, l’artiste américain n’a pas su, en concertation ou non avec le directeur musical Louis Langrée, trouver de solution satisfaisante. Si la partition de Mozart est pour ainsi dire complète – il n’y manque vraisemblablement que l’ouverture et le finale –, le texte perdu du Singspiel fait furieusement défaut. De fait, pas ou peu de théâtre, si l’on excepte les somptueux mélodrames, genre auquel Mozart ne reviendra plus malgré son enthousiasme. Du premier, ainsi que des interludes extraits de la musique de scène du drame héroïque Thamos, Roi d’Égypte, dont le remaniement précède de peu la composition de Zaïde, Sellars tire des pantomimes dans lesquelles l’œuvre s’enlise.
Absence de continuité dramatique
Surtout, la réduire à une succession de numéros musicaux en accuse l’absence de continuité dramatique. Alors que faire, puisqu’assurément la partition mérite d’être entendue ? Revenir à la source du livret de Johannes Andreas Schachtner, le Sérail, ou la Rencontre imprévue d’un père, d’une fille et d’un fils réduits en esclavage, Singspiel de Friedrich Joseph Sebastiani mis en musique par Joseph Friebert auquel Zaïde ressemble à s’y méprendre au premier acte, avant de s’en affranchir au second – dès lors, quelle fin choisir ? S’en tenir à la version de concert d’usage, avec ou sans narrateur, ou tenter de recomposer des dialogues, comme cela avait été fait pour la création à l’Opéra de Francfort en 1866 ?
En somme, tout sauf cet enchaînement bâtard qui dessert l’opéra, à tel point que certains en ont réfuté les qualités musicales. À leur décharge, les faiblesses d’un plateau où l’adéquation physique va rarement de pair avec les exigences vocales. Ekaterina Lekhina est une Zaïde frêle dans l’aigu, parfois acide, Sean Panikkar trébuche sur la tessiture de Gomatz, l’Allazim d’Alfred Walker parvient à émouvoir malgré un phrasé sans relief, et Morris Robinson n’a pour Osmin que l’énormité du grave, sans esprit dans son air. Dans le rôle du sultan Soliman, Russell Thomas est plus convaincant, émission saine, régulière et ligne caractérisée.
Garant d’une certaine authenticité mozartienne, Louis Langrée trouve de beaux équilibres dans la conduite contrastée des airs, soigne les courbes et fait avancer le drame autant que faire se peut. Est-ce en revanche parce que Mozart détestait sa ville natale que la Camerata Salzburg n’a à lui offrir que ces sonorités aigres et souvent désordonnées dignes d’un mauvais ensemble d’instruments anciens, avec en prime un bien vilain vibrato d’orchestre moderne ?
Nous voici donc obligés de conclure, comme nous l’avions fait à l’issue de la version de concert menée par Ton Koopman en octobre 2004 au Théâtre des Champs-Élysées, par ce triste constat : non, vraiment, ce n’était pas Zaïde !
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