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CRITIQUES DE CONCERTS |
30 décembre 2024 |
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Reprise de Tristan et Isolde de Wagner dans la mise en scène de Christoph Marthaler, sous la direction de Peter Schneider au festival de Bayreuth 2008.
Bayreuth 2008 (1) :
Un Tristan moribond
Dernier festival dirigé par Wolfgang Wagner, l’édition 2008 de Bayreuth marque la fin d’une ère. Toujours est-il qu’en le revoyant, le Tristan de Marthaler apparaît comme une impasse, un monument de vacuité, avec pour cette reprise une distribution proche de l’indigent, à peine sauvée par le professionnalisme routinier de Peter Schneider.
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Bons baisers d’Eltsine
Chambre déséquilibrée
RĂ©gal ramiste
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Une page se tourne à Bayreuth. La guerre de succession fratricide entre les héritiers de Wolfgang Wagner, 89 ans à la fin du mois et très diminué, semblerait avoir trouvé une issue en la formation d’un tandem constitué de Katharina, 30 ans, petite dernière du patriarche, et d’Eva, 63 ans, aînée d’un premier lit. Tout oppose les deux femmes : la génération, le caractère, les choix esthétiques, et il faut bien envisager la possibilité qu’elles finissent par s’étriper. Le conseil d’administration dira à l’automne si cette proposition est raisonnable, l’essentiel étant à notre sens que la direction du festival reste confiée à la famille.
Une page se tourne à Bayreuth. À l’heure proche de la passation de pouvoir, le site Internet des Bayreuther Festspiele, jadis aussi accueillant qu’un entrepôt frigorifique, vient d’être totalement relooké, et propose désormais des podcasts – sponsorisés par une marque de bière locale – et autres vidéos sur le bâtiment et la manifestation, qui opère enfin sa mise à jour multimédias.
Une page se tourne à Bayreuth. Pour la première fois cet été, une représentation, la première des Maîtres chanteurs de Katharina si chahutés l’année passée, a été retransmise sur la place de l’Hôtel de ville, ainsi qu’en streaming sur la toile. Il était temps, en effet, que le festival à la liste d’attente la plus désespérément longue du monde se mette au goût du jour.
Une page se tourne à Bayreuth. Pour autant, il est des soirs où l’on a vraiment l’impression que l’institution au passé si glorieux marche sur la tête, notamment concernant les distributions qui confinent de plus en plus souvent à des aberrations. Exemple flagrant justement que celui des Meistersinger dont, sous prétexte d’adéquation scénique, le Sachs vocalement épouvantable reçoit chaque soir une bronca qui jadis en aurait fait abdiquer plus d’un.
La même impression de gâchis contamine l’ensemble d’une représentation de Tristan plombée d’un bout à l’autre. Seul timide rescapé du naufrage, le chef Peter Schneider, solide routard des scènes lyriques germaniques, qui dirige tout avec le même professionnalisme, avec la même absence de génie, mais au moins avec un sens dramatique, architectural, qui savent encore retenir l’attention à défaut de captiver, de saisir, d’émouvoir vraiment.
Outre la direction, la soirée est sauvée par le Tristan toujours aussi fin chanteur et aristocratique de Robert Dean Smith, dont la classe, l’élégance dans la souffrance, la clarté de la diction comme de l’émission font oublier des moyens en rien colossaux et une réelle fatigue. Le reste du plateau est sinistré.
Une Isolde hululante
Annoncée comme la seule Isolde à pouvoir se comparer aujourd’hui à Nina Stemme, Iréne Theorin n’a qu’une certaine vaillance à offrir à la Princesse d’Erin, qu’on a rarement entendue aussi mal chantée, défigurée par un vibrato-hululement aussi panique que l’aiguille affolée d’un détecteur de métaux, criant avec une dureté impossible les trois quarts du rôle. Une prestation affligeante, et copieusement applaudie !
En ces temps olympiques, la palme de la vocifération revient toutefois au Kurwenal de Jukka Rasilainen, gueulard sans une once de compassion. Les jolies intentions de Michelle Breedt semblent perdues dans la vocalité large de Brangaine, et si le roi Marke vieilli de Robert Holl se tire moins mal que de coutume de son monologue – encore que l’intonation y soit parfois effrayante –, son débarquement à Karéol a tout d’une débâcle.
Mais l’objet premier de la déroute de ce Tristan reste sans doute sa mise en scène. Passé pour le critique l’attention à chaque détail, l’acuité analytique nécessaires les soirs de première, l’exercice consistant à revoir un spectacle s’avère dans le cas présent un véritable chemin de croix.
Au bout d’une demi-heure, on voudrait se jeter du haut du Festspielhaus devant la laideur insigne des décors et des costumes, devant la négation totale de la passion des amants, devant une direction d’acteurs tenant de l’incurie, notamment dans un II en forme de démission pure et simple. Souvent interpellé par le travail de Marthaler – ses Noces, son Wozzeck – nous devons avouer nous trouver ici devant sa plus faible mise en scène lyrique, bonne pour le placard au bout de trois éditions seulement.
Une page se tourne à Bayreuth. Gageons que le festival, dont l’édition 2009 sans nouvelle mise en scène s’ouvrira sur ce Tristan guère regardable, saura se ressaisir et proscrire ce genre de productions moribondes, pour lesquelles certains ont attendu une place presque dix ans !
Liens :
La première de la production en 2005.
La reprise de 2006.
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Festspielhaus, Bayreuth Le 14/08/2008 Yannick MILLON |
| Reprise de Tristan et Isolde de Wagner dans la mise en scène de Christoph Marthaler, sous la direction de Peter Schneider au festival de Bayreuth 2008. | Richard Wagner (1813-1883)
Tristan und Isolde, drame lyrique en trois actes (1865)
Livret du compositeur
Chor und Orchester der Bayreuther Festspiele
direction : Peter Schneider
mise en scène : Christoph Marthaler
décors et costumes : Anna Viebrock
Ă©clairages : Ulrich Niepel
préparation des chœurs : Eberhard Friedrich
Avec :
Robert Dean Smith (Tristan), Robert Holl (König Marke), Iréne Theorin (Isolde), Jukka Rasilainen (Kurwenal), Ralf Lukas (Melot), Michelle Breedt (Brangäne), Clemens Bieber (Jungen Seeman), Arnold Bezuyen (Ein Hirt), Martin Snell (Ein Steuermann). | |
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