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CRITIQUES DE CONCERTS |
23 novembre 2024 |
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Nouvelle production de Parsifal de Wagner mise en scène par Stefan Herheim et sous la direction de Daniele Gatti au festival de Bayreuth 2008.
Bayreuth 2008 (3) :
Le retour de l’esprit
Enfin, l’affront à Parsifal perpétré par l’innommable fatras de Schlingensief à Bayreuth est lavé, grâce à une nouvelle production du dernier opus wagnérien par le Norvégien Stefan Herheim, qui signe avec sa mise en scène au foisonnement inénarrable et aux multiples niveaux de lecture un trésor d’intelligence dans le Temple wagnérien.
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Lights, camera, action !
Vigueur et courants d’air
En passant par la mort
[ Tous les concerts ]
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Après le tollé retentissant du Parsifal de Christoph Schlingensief, demeuré quatre étés seulement à l’affiche sur la Colline, on espérait que le jeune Stefan Herheim, auteur d’un Enlèvement au sérail à scandale à Salzbourg, ne rate pas son coup à son tour. Nous voilà rassuré, devant un travail scénique discutable par sa trop grande polysémie mais incontestablement professionnel, dont pour notre part, nous sommes ressorti bouleversé par l’intelligence, la beauté et le rythme très musical.
Primo, en effet, Herheim, violoncelliste de formation, gère admirablement la temporalité wagnérienne, et sait toujours occuper la lente régularité du temps musical, sans jamais donner l’impression de le meubler. Secundo, après la scénographie irregardable de Schlingensief, celle de Heike Scheel apparaît comme un modèle de plasticité, transfiguré par les éclairages de toute beauté d’Ulrich Niepel.
Tertio, le metteur en scène explore l’idée d’une perpétuelle régénération phénixologique et du transfert psychanalytique : en endossant le manteau d’hermine d’Amfortas, l’enfant Parsifal, dont on revit la naissance pendant la Cène et dont les rapports fusionnels avec Herzeleide suggèrent l’inceste, est à tour de rôle associé au cygne, au roi maudit, au Graal, à l’œuvre en personne. De même, Kundry endossera les trois images attachées à l’imaginaire sexuel de l’homme : la mère, la servante, la putain.
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L’Allemagne face à son histoire
Quarto, en « tâche de fond » tourne l’Histoire de l’Allemagne, de l’Empire contemporain de la création de Parsifal à la plongée dans la Grande Guerre au I – au premier acte conçu comme un songe du petit Parsifal répond le sommeil d’une société courant à sa perte –, de la République de Weimar – les blessés de guerre dans un hôpital militaire, au milieu de Filles-Fleurs infirmières et d’un Klingsor meneur de revue – à la montée brutale du Nazisme, anéantie par la lance reconquise du chaste fol au II, enfin des décombres du Troisième Reich au parlement démocratique du Bundestag – où l’on porte le cercueil de Titurel couvert du drapeau de la RFA et où Amfortas déclame son oraison funèbre au III.
Mais en surimpression du contexte historique, Herheim retrace également l’histoire de Bayreuth et du wagnérisme. Ainsi, la châsse du Graal, petit mur de briques sur la loge de la souffleuse, évoque la façade d’où retentissent les sonneries au Festspielhaus, l’action à proprement parler se déroulant tantôt à l’intérieur, tantôt dans les jardins de la villa Wahnfried, le dernier acte se jouant dans une réplique du cadre de scène du Festspielhaus.
Parmi les moments forts d’un spectacle virtuose, qu’on peut juger trop ambitieux mais qui reste toujours inspiré – malgré un II plus faible, qui a tout l’avenir pour s’améliorer dans l’Atelier Bayreuth –, on retiendra, sur la marche funèbre de Titurel, la vidéo du masque mortuaire de Wagner recouvert par les briques de la reconstruction du Palais des festivals bombardé, puis celle de l’acte créateur du Neues Bayreuth signé Wieland et Wolfgang Wagner en 1951.
On se souviendra également des moments où, en parfaite intelligence avec la musique, la lumière se rallume dans la salle, sur l’évocation du miracle du Graal au I et sur l’extase naturelle du Vendredi saint au III, et enfin du miroir qui, depuis les cintres, descend face au public pour réfléchir la masse des spectateurs « wagnériens » du parterre quand le symbole de la colombe projette une vive lumière, juste avant le tomber de rideau.
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Une direction mystique
Daniele Gatti, en digne héritier de son compatriote Arturo Toscanini, dirige très lent, en presque 4h40, soit plus lent que n’importe quel Knappertsbusch, et presque une heure de plus que Boulez. Mais cet étirement jamais statique, aux silences habités, lui sert à exalter le diatonisme de l’harmonie, une forme de mysticisme, à faire sentir la plénitude des accords, dans des textures miraculeusement claires, prodiguant avec le concours de chœurs qui touchent au sublime de considérables minutes d’élévation spirituelle.
Le plateau sort grandi de son audition en salle – à l’exception de certaines Filles-fleurs toujours aussi épouvantail –, la seule retransmission radio de la première ayant laissé une impression plus mitigée. Mihoko Fujimura n’aura jamais l’ambiguïté physique, le charme vénéneux de Kundry, en voix légère devant jouer d’effets, mais au moins assume-t-elle le rôle jusqu’au bout, et avec toutes les notes. Christopher Ventris, jeune et franc d’émission, avec encore une pointe d’accent à corriger, ose de belles nuances au baptême et finit de nous convaincre qu’il est un titulaire tout à fait crédible du rôle-titre.
En voix trop peu mature, Detlef Roth humanise, affaiblit un Amfortas que sa douleur excède, jouant de tout son art du lamento pour camper un roi aussi captivant d’intériorité qu’incapable de noire colère. Dénué par nature d’une quelconque stature de patriarche, le Gurnemanz de Kwangchul Youn trouve dans sa seule émission la substance du doyen de la confrérie du Graal. Enfin, plus parlé que chanté, le Klingsor de Tomas Jesatko est le négatif vocal du Titurel somptueusement assis dans l’abîme de Diógenes Randes.
En cette soirée d’août, la magie Bayreuth aura en tout cas opéré en plein : dehors, une éclipse de lune accompagnait, encore magnifique à la sortie de salle, tout le III, après qu’au I, un petit oiseau égaré, le même sans doute que la veille, a pris part au spectacle, traversant la salle avant de s’envoler dans la coupole pendant le rituel de la Cène. Le souffle de l’esprit, sans doute…
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Festspielhaus, Bayreuth Le 16/08/2008 Yannick MILLON |
| Nouvelle production de Parsifal de Wagner mise en scène par Stefan Herheim et sous la direction de Daniele Gatti au festival de Bayreuth 2008. | Richard Wagner (1813-1883)
Parsifal, festival scénique sacré en trois actes (1882)
Livret du compositeur
Chor und Orchester der Bayreuther Festspiele
direction : Daniele Gatti
mise en scène : Stefan Herheim
décors : Heike Scheele
costumes : Gesine Völlm
Ă©clairages : Ulrich Niepel
vidéo : Momme Hinrichs & Torge Møller
préparation des chœurs : Eberhard Friedrich
Avec :
Detlef Roth (Amfortas), Diógenes Randes (Titurel), Kwangchul Youn (Gurnemanz), Christopher Ventris (Parsifal), Thomas Jesatko (Klingsor), Mihoko Fujimura (Kundry), Arnold Bezuyen (Erster Gralsritter), Friedemann Röhlig (Zweiter Gralsritter), Julia Borchert (Erster Knappe), Ulrike Helzel (Zweiter Knappe), Clemens Bieber (Dritter Knappe), Timothy Oliver (Vierte Knappe), Julia Borchert, Martina Rüping, Carola Gruber, Anna Korondi, Jutta Maria Böhnert, Ulrike Helzel (Klingsors Zaubermädchen), Simone Schröder (Altsolo). | |
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