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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Concert du Chicago Symphony Orchestra sous la direction de Bernard Haitink au festival de Lucerne 2008.
Lucerne 2008 (4) :
Sous le signe de la modernité
Apparition fort attendue de la Rolls-Royce symphonique qu’est toujours l’Orchestre de Chicago au festival de Lucerne. Après un concerto de Mozart gentiment académique, Bernard Haitink triomphe dans une 4e symphonie de Chostakovitch à la hauteur de vue imprenable et d’une exigence intellectuelle rare, dont il restitue à sa manière l’incroyable modernité.
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La programmation de cette soirée Mozart-Chostakovitch apparaît presque comme une subsistance des anniversaires 2006 qui voulurent souvent associer dans un même concert ces deux compositeurs que tout oppose, sauf leur précocité respective, leur mémoire phénoménale et leur facilité d’écriture.
Quant à la musique, en particulier les concertos pour piano, si Mozart séduit par son évidence immédiate, toute la difficulté de l’interprétation réside dans le fait de retrouver cette évidence perdue. Malgré un métier irréprochable et une lecture manifestement intelligente, l’interprétation d’Haitink ne fait pas véritablement saillie.
Sa lecture est quoi qu’il en soit toujours plus valable que celle de Murray Perahia, dont l’articulation nette et soignée ne suffit pas à sauver un toucher trop uniforme et un rendu bien monotone, sur lesquels il n’est pas utile de s’attarder. Une preuve supplémentaire de la difficulté d’aborder ce type de répertoire, à l’origine des plus grands délices comme des pires grisailles ; l’exécution de ce soir se situe entre ces deux extrêmes pour rendre une première partie sans histoire.
On regagne en revanche les terrains d’une interprétation d’exception dans la 4e symphonie de Chostakovitch, où la partition, qui est l’une des plus modernes de son auteur, demande à être davantage saisie. Le Chicago Symphony s’impose comme une véritable Rolls-Royce dans ce répertoire : absolument irréprochable dans sa préparation et magnifique de coloris de bout en bout. L’incroyable homogénéité des cordes, le timbre coloré des bois seraient déjà exceptionnels si les cuivres n’étaient pas tout simplement parfaits dans leur plastique : puissants, ronds, d’une souplesse extraordinaire tout en refusant le clinquant et le brillant inutile.
Haitink soigne l’ensemble avec un goût achevé pour la finition tout en donnant les contours dramatiques essentiels, réussissant à conserver un ton adéquat tout en éludant quelque peu les aspérités de la partition. C’est indéniablement un Chostakovitch très occidental qui est privilégié, d’un souci plastique exceptionnel, sans tension excessive, parfois même très legato.
Dès lors, on peut légitimement se poser la question de savoir si l’optique d’Haitink reste chostakovienne. Car il ne faut pas oublier que le timbre est un outil expressif fondamental dans la musique russe et chez l’auteur du Nez en particulier : tendu de l’intérieur voire surdramatisé, acéré, coupant, flagellé, il raconte la vie rude mais aussi l’oppression inscrites dans la chair et l’âme même d’un peuple soumis à une pression psychique et physique durant des siècles d’un rapport problématique avec le pouvoir.
Moment-clé de l’histoire russe
La 4e symphonie, d’une violence parfois inouïe, est celle qui préfigure la Grande Terreur ; elle est aussi l’œuvre que Chostakovitch compose lorsqu’il lit l’article de la Pravda condamnant Lady Macbeth. Témoignage de son époque, elle reflète un de ces moments-clés de l’histoire russe, elle est la transcription visionnaire d’une Iejovchtchina, qui n’est rien d’autre que l’oprichtchina des temps modernes.
Il ne serait pas exact de dire qu’Haitink évacue ce plan-là : si le timbre perd de son urgence narrative, l’orchestration même dans cette optique très plastique reste agressive, Haitink n’hésitant d’ailleurs pas à redonner à l’occasion plus de tranchant aux cordes. En revanche, il replace judicieusement l’œuvre et sa recherche de timbre sous le signe de la modernité, resituant la symphonie dans le prolongement des Trois pièces pour grand orchestre op. 42, peu connues, parfois proches d’un Webern.
Mais surtout, le génie du chef néerlandais est de respecter la trame symphonique et dramatique – et donc l’esprit – par la maîtrise constante d’un fil directeur, tant et si bien que la coda la plus lunaire de l’histoire de l’art s’évanouit dans un long silence crépusculaire. Ambiance rare : rien ne bouge, personne n’ose sembler même respirer, avant qu’un auditeur n’interrompe ce vide laissé béant par un timide bravo. Les applaudissements deviennent permis, le retour à la vie normale aussi, mais on sent que malgré le langage abrupt de cette symphonie, son message restera marquant pour chacun.
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Konzertsaal, Kultur- und Kongresszentrum, Luzern Le 13/09/2008 Benjamin GRENARD |
| Concert du Chicago Symphony Orchestra sous la direction de Bernard Haitink au festival de Lucerne 2008. | Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Concerto pour piano et orchestre en ut mineur KV 491 (1786)
Murray Perahia, piano
Dimitri Chostakovitch (1906-1975)
Symphonie n° 4 en ut mineur op. 43 (1936)
Chicago Symphony Orchestra
direction : Bernard Haitink | |
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