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CRITIQUES DE CONCERTS |
30 octobre 2024 |
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Nouvelle production de Pelléas et Mélisande de Debussy mise en scène par Pierre Audi et sous la direction de Mark Wigglesworth au Théâtre royal de la Monnaie, Bruxelles.
Scènes de la vie conjugale
Dietrich Henschel (Golaud)
On retiendra de ce Pelléas et Mélisande à la Monnaie de Bruxelles une somme d'éléments contradictoires : la mise en scène de Pierre Audi qui hésite entre drame domestique et symbolisation excessive, un chef nerveux et irrégulier, et une distribution exceptionnelle où Stéphane Degout et Sandrine Piau s'affirment dans les rôles-titres.
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On peut aborder Pelléas avec de lents gestes japonisants, de l'eau envahissant jusqu'au moindre recoin du plateau, au risque d'une certaine désincarnation des personnages, et l'on peut respecter scrupuleusement les indications du texte de Maeterlinck, de façon à donner à voir selon le vœu de Debussy, jusque dans leur étrangeté, des « réalités ».
Pour cette nouvelle production à la Monnaie, le rideau s'ouvre sur ce pourquoi semble être venus maints spectateurs : le décor. Conçu par Anish Kapoor, star de l'art contemporain, il aura fait l'objet de remarques contradictoires. Il évoque pour nous le tympan d'une oreille, plaçant ainsi d'emblée le spectacle sous le signe de l'intimité et de l'écoute.
D'autant que l'arrivée de Mélisande, aussi chauve qu'une punk scandinave, place immédiatement les personnages dans une certaine violence physique. Pierre Audi, le directeur du Nederlandse Opera, cherche le mouvement dans l'œuvre de Debussy. Le décor tournera ainsi sans cesse, les gestes seront brusques, il y aura de beaux mouvements chorégraphiés, et nulle pause ne se fera attendre entre les actes.
Plus encore, le metteur en scène franco-libanais tente et réussit à faire de Pelléas un opéra anxiogène. Les rapports de Mélisande et Golaud suintent la haine, la scène des moutons au IV affiche des enfants attachés à la corde de leur bourreau ; plus contestable en revanche, le tendre baiser d'Arkel à Mélisande se transforme en tentative de viol.
Ainsi, Pelléas devient un opéra sur l'urgence amoureuse – les rôles-titres se rencontrant toujours dans la précipitation quand rôde l'ombre inquiétante de Golaud –, si bien que l'on croit être dans une version ramassée des Scènes de la vie conjugale d'Ingmar Bergman, où l'hystérie des sentiments est une réjouissante manière de renouveler un ouvrage que d'aucuns jugent statique.
Ce choix semble en outre pleinement assumé par Mark Wigglesworth, qui ne s'embarrasse d'aucune fioriture, ne dirigeant notamment que deux des cinq interludes symphoniques dont nul ne sait vraiment lesquels furent joués lors de la première d’avril 1902 et lesquels furent ajoutés aux représentations de l'automne suivant.
Si le chef paraît peu attentif aux chanteurs, s'il engendre par précipitation de nombreux décalages, s'il semble même parfois débordé par l'orchestration, inapte à en séparer les timbres et trahissant ainsi la verdeur de certains solistes de l'Orchestre de la Monnaie, sa direction irrégulière a le mérite de faire fonctionner les scènes de dialogues qui claquent comme au cinéma.
Mais Pelléas n'est pas qu'une succession de scènes domestiques. Le chef-d’œuvre de Debussy a une immédiateté, une innocence, un rapport à l'origine que l'on ne retrouve nulle part dans cette production. Irrespirable, le duo d'amour au balcon, où emprisonnés par le chef, les amants ne peuvent chanter librement. Menacé d'inutile remplissage, le monologue nocturne de Pelléas au IV. Ne faudrait-il simplement pas donner à voir un cœur qui s'ouvre ?
Cette lecture riche de terreur aurait été en outre autrement plus puissante si elle avait été assumée jusqu'au bout. Mais plutôt que de considérer le cinquième acte comme la résolution du drame, à n'y lire que le si humain « chacun a ses raisons » d'un autre film, la Règle du jeu de Jean Renoir, qui conviendrait tout aussi bien à Pelléas, Pierre Audi surcharge brusquement son plateau de symboles, avec force gestes outrés d'une part et attitudes statiques d'autre part, qui font basculer irrémédiablement le spectacle.
Un cast de rĂŞve
Mais l'équipe vocale est tout simplement l’une des meilleures que l'on puisse rêver aujourd'hui. Si Dietrich Henschel compose un Golaud emprunté et guindé mais qui réussit de haute lutte conquérir la noblesse, combien naturelle est Marie-Nicole Lemieux, qui a enrichi Geneviève depuis la production du TCE d’une voix suprêmement passionnée, réussissant à incarner un être profondément humain jusque dans son ambivalence, combien émouvant est l'Arkel d'Alain Vernhes, que l'on écoute bouleversé devant le désastre final, et qui appartient à la plus belle tradition française de chant, dont on déplore si souvent la disparition.
Et enfin, dans leurs prises de rôles, le Pelléas de Stéphane Degout éblouit par une étourdissante ligne de chant et une sûreté inouïe, et la Mélisande de Sandrine Piau réussit le miracle d’être à la fois fragile et passionnée, corporelle et mystérieuse. Avec une équipe pareille, outre le bon Yniold de Valérie Gabail, il n'était nul besoin de lire le surtitrage. Cette production aura le mérite de formuler une question dont on n'ose encore formuler la réponse que du bout des lèvres : l'école de chant française ne vivrait-elle pas en ce moment de très riches heures ?
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Théâtre royal de la Monnaie, Bruxelles Le 18/09/2008 Laurent VILAREM |
| Nouvelle production de Pelléas et Mélisande de Debussy mise en scène par Pierre Audi et sous la direction de Mark Wigglesworth au Théâtre royal de la Monnaie, Bruxelles. | Claude Debussy (1862-1918)
Pelléas et Mélisande, drame lyrique en cinq actes et douze tableaux
Livret de Maurice Maeterlinck
Chœurs et Orchestre symphonique de la Monnaie
direction: Mark Wigglesworth
mise en scène: Pierre Audi
scénographie: Anish Kapoor
costumes: Patrick Kinmonth
Ă©clairages : Jean Kalman
préparation des chœurs : Piers Maxim
Avec :
Stéphane Degout (Pelléas), Sandrine Piau (Mélisande), Dietrich Henschel (Golaud), Marie-Nicole Lemieux (Geneviève), Alain Vernhes (Arkel), Valérie Gabail (Yniold), Jean Teitgen (un médecin), Wiard Witholt (un berger). | |
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