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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Concert d'ouverture du Festival Musica de Strasbourg 2008.
Vertige de lumière
Pour l'ouverture de Musica, l'événement était attendu : la création de Vertigo, la première grande œuvre symphonique du jeune compositeur français Christophe Bertrand. Associé aux Gruppen de Stockhausen, ce concerto éblouit par sa maîtrise orchestrale mais ne crée pas encore tout à fait le vertige musical que son titre laissait pourtant augurer.
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La tension dans la salle Érasme de Strasbourg est palpable : comment va sonner la première grande pièce symphonique de Christophe Bertrand, ce jeune prodige, chéri des institutions et, plus remarquable encore à son âge (27ans), du public ? Il n'y a qu'en musique contemporaine que l'on peut ressentir ce délicieux frisson, à l'aube d'une création attendue, de découvrir de nouvelles Amériques sonores !
Reste à savoir ensuite si celles-ci empruntent le grand large ou les côtes déjà très fréquentées du répertoire. Vertigo, comme l’auteur s’en est expliqué dans ses colonnes, cherchait à créer un brouillage sonore, par de nombreux décalages entre les deux pianos – ici les doigts experts des pianistes de l'Intercontemporain, Hideki Nagano et Sébastien Vichard), mais également par un enchevêtrement de vitesses superposées, de sorte à provoquer le plus vigoureux vertige.
L'hallucination qui nous aura saisie aura davantage été un éblouissement, tant l'orchestre sonne clair, chaque détail instrumental y étant minutieusement pensé, de ces grandes vagues de cordes divisées à l'extrême à ces rafales de cuivres qui requièrent une virtuosité instrumentale phénoménale, concoctées par un auteur-démiurge surpuissant. L'œuvre tient en outre le pari de la grande forme par des petites séquences imbriquées les unes dans les autres, sans qu'il n'y ait comme le souhaitait son auteur « ni silence, ni lenteur », affirmant par ce biais une peur du vide très contemporaine.
Christophe Bertrand est un des rares compositeurs d'aujourd'hui à travailler la narration musicale plutôt que le fragment, le successif plutôt que la juxtaposition, mais dans sa dramaturgie millimétrée, on gagerait que l'Alsacien jette parfois des transitions trop ouvragées, des échos qu'on enjamberait à la manière de ponts entre les précipices sonores que par ailleurs il déchaîne, si bien que par excès de contrôle, la pièce ne procure pas tout à fait le vertige que son titre laissait présager.
Pourtant, Christophe Bertrand reste assurément un très grand espoir de la musique de demain. Renouvelant brillamment le lyrisme transparent de la musique française, son écriture porte en elle, à la manière d'un Henri Dutilleux, un syncrétisme qui lui permettra d'arpenter des péninsules musicales, dans le futur, tout à fait inouïes.
Proposé en ouverture de concert, Extenso, le deuxième solo pour orchestre de 1994 de Pascal Dusapin, n'est pas à proprement parler une pièce de jeunesse du compositeur de Perelà . Il s'agit davantage d'une œuvre de première maturité, l'une de ses plus fréquemment jouées en tout cas, furieuse, lyrique, et dont l'orchestration groupée, sous la baguette haletante de Pascal Rophé à la tête de l'Orchestre philharmonique de Liège-Wallonie-Bruxelles, aura profité au mieux de l'acoustique lointaine de la gigantesque salle Érasme.
Enquête policière en musique
Plus problématique concernant la projection sonore, les Gruppen de Karlheinz Stockhausen pour trois groupes d'orchestre spatialisés pâtissent de l'immensité du lieu. Oublions les superlatifs qui bardent cette pièce pionnière de 1957 dans les Histoires de la musique ; un demi-siècle plus tard, qu'entend-on ? Tout d'abord, les gestes fascinants de trois chefs séparés dans l'espace, qui, jusqu'à leurs regards, deviennent chorégraphiques.
Ensuite, un sentiment radical de nouveauté, tant les premières mesures nous interrogent sur la mécanique des échanges entre les groupes. Puis petit à petit, l'oreille perd pied, s'intègre dans un théâtre que l'on serait bien en peine de pouvoir décrire – on prête attention aux mouvements dans l'espace, aux familles d'instruments, aux apparitions solistes –, à la manière d'une enquête policière dont l'auditeur, au centre du son, serait le principal protagoniste. Et au-delà de toute considération musicale, le spectacle devient alors absolument ensorcelant.
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Salle Érasme , Strasbourg Le 20/09/2008 Laurent VILAREM |
| Concert d'ouverture du Festival Musica de Strasbourg 2008. | Pascal Dusapin (*1955)
Extenso, solo n° 2 pour orchestre
Christophe Bertrand (*1981)
Vertigo, concerto pour deux pianos et orchestre
Création mondiale
Hideki Nagano & Sébastien Vichard, pianos
Karlheinz Stockhausen (1928-2007)
Gruppen, pour trois orchestres
Orchestre Philharmonique de Liège Wallonie-Bruxelles
direction: Pascal Rophé (+ Jean Deroyer & Lucas Vis pour Gruppen) | |
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