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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Version de concert de Saint François d’Assise de Messiaen sous la direction de Myung-Whun Chung à la salle Pleyel, Paris.
Ă€ Ă©branler les montagnes
Sommet des célébrations du centenaire de la naissance d’Olivier Messiaen, l’exécution de St François par les forces de Radio France sous la baguette transcendante de Myung-Whun Chung restera gravée dans les mémoires. D’une foi à soulever des montagnes, le chef coréen triomphe sur tous les plans, aidé par une distribution solide où seul le rôle-titre déçoit vraiment.
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Il est 0h20, dans la nuit de vendredi à samedi, lorsque s’achève l’accord d’ut majeur qui clôt la partition fleuve et titanesque du St François d’Assise d’Olivier Messiaen. Un ultime accord d’une consonance salvatrice qu’on n’oubliera sans doute jamais, tenu par le Chœur et l’Orchestre philharmonique de Radio France jusque dans leurs plus ultimes retranchements, en un crescendo gigantesque comme on n’a pas le souvenir d’en avoir entendu dans une salle de concert.
Véritable triomphe et ovation frénétique de la part d’un public qui, entré en salle à 18h30, a fait preuve d’une attention qui force l’admiration pendant presque 4h40, et qui, contrairement aux représentations de l’automne 2004 à l’Opéra de Paris, n’a que très peu déserté les rangs en cours de route et à l’approche de l’heure du dernier métro.
Mais en soi, les chiffres ne valent rien, et sans le concours d’interprètes vraiment inspirés, l’exercice peut même rapidement tourner au supplice, au chemin de croix. C’est tout l’inverse qui s’est produit ce soir. D’une concentration extrême tout asiatique, d’une qualité constante d’inspiration, Myung-Whun Chung aura fait feu de tout bois dans cette exécution qui était sa première.
Sans jamais tomber ni dans le mysticisme avachi ou bêtement contemplatif ni dans une hystérie compulsive insupportable sur le long terme, il gère au mieux le côté séquentiel et kaléidoscopique de l’écriture et caractérise à merveille chaque motif, chaque épisode, chaque silence même avec une précision d’orfèvre dans le découpage timbrique, dans la netteté des contours rythmiques, dans le dosage des couleurs comme des nuances.
L’Orchestre philharmonique de Radio France, qu’on n’a jamais entendu à pareil niveau, est d’une splendeur un rien bénédictine mais à couper le souffle, et d’un raffinement sonore inouï, donnant à entendre des détails d’orchestration d’ordinaire calfeutrés dans la masse. Tour à tour d’un tranchant, d’un cinglant, d’une suavité, d’une tendresse extraordinaires, il fait preuve également d’une palette dynamique infinie.
Dès lors, la grande expérience franciscaine est possible, dont la foi contamine l’ensemble des participants. Le Chœur de Radio France est d’ailleurs tout aussi admirable que l’orchestre. D’une précision, d’une justesse, d’un souffle inépuisables, il excelle tant dans les scansions psalmodiées des Laudes que dans les terribles martèlements des Stigmates ou encore dans l’extase de la Nouvelle vie.
Le Lépreux incomparable d’Hubert Delamboye
Dans son ensemble, la distribution est de superbe qualité. Au premier chef, le Lépreux idéalement ténor de caractère d’Hubert Delamboye, dont les éclats n’ont rien à envier aux Kenneth Riegel ou Chris Merritt qui ont tant défendu le rôle, et qui les dépasse même en subtilité – un Je ne suis pas digne d’être guéri magnifiquement murmuré – et en précision de la diction, toujours limpide.
Irréprochables également, le Frère Massée de Tom Randle, habité par un emploi qui est un rai de lumière, beau ténor juste assez lyrique, et très stylé, et le Frère Élie d’une clarté d’élocution à cent pour cent française d’Olivier Dumait. Belle prestation également du Frère Bernard de Jean-Sébastien Bou, parfois juste un rien confidentiel.
Nicolas Courjal est quant à lui un Frère Léon au beau legato mais de voix légèrement trop enrobée. L’inénarrable Heidi Grant Murphy, cible favorite – souvent à juste titre – de nombre de forums de discussions sur l’art lyrique, est en un sens égale à elle-même, d’un aigu plutôt joli mais d’un médium et d’un grave grêles et pincés à fuir, mais au moins son Ange tente-t-il des pianissimi suspendus plutôt réussis et demeure-t-il globalement très compréhensible, malgré l’exotisme de l’accent. L’Américaine ne nous paraît en tout cas pas moins recommandable que la très surévaluée Dawn Upshaw dans le rôle.
Reste le cas de Saint François, qu’un Vincent Le Texier prudent et très dans la partition aborde avec une belle conviction, mais aussi trop de lacunes vocales pour susciter l’adhésion : émission tubée, aux voyelles souvent approximatives, grisaille du timbre, aigus instables, manque d’endurance et de longueur de souffle. Mais il faut aussi accepter de se laver les oreilles de l’incarnation mémorable de José van Dam, qui a décidé de ne plus chanter le rôle-titre. Car lorsqu’un interprète de cette stature décide que l’heure est venue de s’arrêter, lui succéder tient de la gageure.
En dehors de ces quelques impondérables et de projections vidéo dénuées de tout intérêt, l’esprit de Messiaen flottait bien dans la salle Pleyel, dont chacun semble ressorti marqué par une véritable expérience musicale et mystique, grisante autant qu’épuisante.
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Salle Pleyel, Paris Le 31/10/2008 Yannick MILLON |
| Version de concert de Saint François d’Assise de Messiaen sous la direction de Myung-Whun Chung à la salle Pleyel, Paris. | Olivier Messiaen (1908-1992)
Saint François d’Assise, scènes franciscaines en huit tableaux (1983)
Livret du compositeur
Version de concert
Vincent Le Texier (Saint François)
Heidi Grant Murphy (l’Ange)
Hubert Delamboye (Le LĂ©preux)
Nicolas Courjal (Frère Léon)
Tom Randle (Frère Massée)
Jean-Sébastien Bou (Frère Bernard)
Olivier Dumait (Frère Élie)
Chœur et Orchestre philharmonique de Radio France
direction : Myung-Whun Chung
préparation des chœurs : Matthias Brauer & Marco Valerio Marletta
projections vidéo : Jean-Baptiste Barrière | |
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