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CRITIQUES DE CONCERTS |
22 décembre 2024 |
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Reprise de la Flûte enchantée dans la mise en scène de la Fura dels Baus, sous la direction de Thomas Hengelbrock à l’Opéra de Paris.
Tamino reloaded
Shawn Mathey (Tamino)
Débarrassée des prétentions philosophiques du poème de Rafael Argullol, la Flûte enchantée conçue par la Fura dels Baus aurait pu être réduite à un compromis ludique. C’était sans compter sur la capacité de renouvellement du collectif catalan, qui se réhabilite en instillant un climat particulièrement inquiétant tout au long du deuxième acte.
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Quoi qu’en pensent ses détracteurs – dont la voix discordante s’est élevée dès la fin du premier acte, manifestant leur désapprobation tout au long du second, et qui de toute manière n’étaient là que pour cela –, Gerard Mortier a eu raison de redonner sa chance à la Flûte enchantée conçue par la Fura dels Baus, moyennant quelques indispensables modifications. Plus que l’esthétique du collectif catalan, ce sont les vers didactiques, à hautes prétentions philosophiques que Rafael Argullol avait substitué aux dialogues originaux qui avaient, à juste titre, exaspéré lors de la création parisienne de cette production en janvier 2005.
Délesté de ces boursouflures soi-disant poétiques, le Singspiel peut enfin reprendre ses droits. Certes, le texte de Schikaneder, agrémenté de clins d’œil souvent fort réjouissants, a subi une cure de rajeunissement dont certains ne manqueront pas de contester la nécessité. Évidemment, l’amplification des dialogues crée avec les parties chantées un hiatus inévitable dans un vaisseau aussi vaste que la Bastille. Mais l’essentiel est ailleurs.
La Fura dels Baus a renoncé à l’idée du songe, plongée au cœur de l’univers mental d’un jeune homme qui aurait pu s’appeler Tamino, réduisant ainsi la portée dramaturgique du ballet de matelas qui a tant fait couler d’encre, pour lui substituer une partie de jeu vidéo, désormais explicite, à laquelle se livrent les trois enfants. L’univers ludique développé par les Catalans, mêlant les ficelles – au propre comme au figuré – les plus archaïques du théâtre à des procédés high-tech, y gagne assurément un premier degré de pertinence.
Surtout, Alex Ollé et sa collaboratrice Valentina Carrasco, qui ont assuré la réalisation de cette reprise, ont su insinuer au deuxième acte, si ennuyeux et pontifiant il y a trois ans, un climat lugubre entretenu par le caractère expérimental, voire chirurgical d’une scénographie peuplée de clones/laborantins. Ce faisant, ils interrogent la notion de féérie et sa possibilité dans le monde contemporain.
Si elle n’a pas été épargnée par les huées, la direction de Thomas Hengelbrock se révèle bien plus appropriée que celle de Marc Minkowski, qui avait participé à plomber la création de cette production, et même inspirée. Sans aller aussi loin que dans Idomenée, qu’il reprendra d’ailleurs en mars prochain à Garnier, dans la métamorphose du son de l’orchestre de l’Opéra, le chef allemand en obtient une texture d’une flexibilité, d’une limpidité, d’une légèreté, en somme d’une poésie rare. Et son agogique baroquisante, c’est-à -dire d’une constante mobilité dans l’élan, la suspension, la détente, est proprement fascinante, même si le plateau, plus d’une fois, peine à la suivre.
Contrairement à la création, qui décidément accumulait les erreurs de casting, l’homogénéité y règne. Bien sûr, Kristinn Sigmundsson, qui tend à retrouver ce statut de basse à tout faire de l’Opéra de Paris qu’il avait durant l’ère Gall, a désormais des accents inégaux de vétéran, Sarastro ne profitant que de sa stature imposante et de sa couleur typiquement nordique. Vétéran et demi, José Van Dam peut encore donner le change en Orateur grâce à la portée inaltérée du verbe, mais la ligne comme le timbre ne sont plus que des souvenirs.
Particulièrement timbrée, et réjouissante, est en revanche le petit bout de Papagena de Maria Virginia Savastano, à égalité avec les trois dames saines et bien assorties d’Iwona Sobotka, Katija Dragojevic et Cornelia Oncioiu. Le rétablissement des dialogues ne pouvait que profiter à Papageno, et à Russell Braun en particulier, car si l’acteur s’en donne à cœur joie, le baryton allemand, excellent chanteur et toujours musicien, n’en possède pas moins ici un timbre trop policé.
Avec sa couleur plus franche, parfois cinglante, Markus Brutscher est un Monostatos idéalement cauteleux, inquiétant même. Toujours trémulante dans son premier air, la Reine de la Nuit d’Erika Miklosa, unique rescapée de la distribution originelle, a gagné en précision dans la colorature, en impact dans le suraigu, en variété dans la dynamique sans rien perdre de son tempérament, et se révèle en conséquence infiniment plus convaincante.
Sans être inoubliable, le couple formé par la Pamina de Maria Bengtsson et le Tamino de Shawn Mathey est parfaitement apparié. Elle d’une couleur de plus en plus chaude, épanouie au fil de la soirée, d’une ligne sensible, humaine ; lui toujours un peu sous pression, mais diseur précis, éloquent et très fin musicien.
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Opéra Bastille, Paris Le 17/11/2008 Mehdi MAHDAVI |
| Reprise de la Flûte enchantée dans la mise en scène de la Fura dels Baus, sous la direction de Thomas Hengelbrock à l’Opéra de Paris. | Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Die Zauberflöte, Singspiel en deux actes (1791)
Livret d'Emanuel Schikaneder
Chœurs et Orchestre de l'Opéra national de Paris
direction : Thomas Hengelbrock
mise en scène : Alex Ollé et Carlos Padrissa (La Fura dels Baus)
décors et costumes : Jaume Plensa
Ă©clairages : Albert Faura
vidéo : Frank Aleu
préparation des chœurs : Alessandro di Stefano
Avec :
Shawn Mathey (Tamino), Iwona Sobotka (Erste Dame), Katija Dragojevic (Zweite Dame), Cornelia Oncioiu (Dritte Dame), Russell Braun (Papageno), Maria Virginia Savastano (Papagena), Kristinn Sigmundsson (Sarastro), Markus Brutscher (Monostatos), Maria Bengtsson (Pamina), Erika Miklosa (Königin der Nacht), José Van Dam (Der Sprecher), Jon Ketilsson (Erster Geharnischter Mann), Scott Wilde (Zweiter Geharnischter Mann), Solistes de la Maîtrise des Hauts-de-Seine (Drei Knaben). | |
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