|
|
CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
|
Nouvelle production d’Aïda de Verdi mise en scène par Éric Perez et sous la direction d’Alain Altinoglu à l’Opéra de Dijon.
AĂŻda en or et blanc
Aïda passe pour un luxe dans la programmation d’un théâtre lyrique. Les scènes intimistes n’en sont pas moins l’essence de l’opéra égyptien de Verdi. Pour l’Opéra de Dijon, Éric Perez tente à l’économie un juste milieu en blanc et or. Sous la baguette mieux que diligente d’Alain Altinoglu, les voix s’emploient à parfaire l’illusion.
|
|
Bons baisers d’Eltsine
RĂ©gal ramiste
L'Étrange Noël de Mrs Cendrillon
[ Tous les concerts ]
|
Monter Aïda avec trois fois rien, c’est le défi qu’Éric Perez a accepté de relever pour l’Opéra de Dijon. Avec pour seul luxe six statues dorées – Ptah ? Osiris ? Pharaon ? Qu’importe, puisque Ramfis même invoque Vulcain, divinité gréco-romaine –, Joël Fabing conçoit une scénographie de lumières chauffées à blanc sur lesquelles sept panneaux descendus des cintres jettent l’ombre d’une colonnade d’or, et où quelques branches suffisent à suggérer des rives du Nil tout à fait décentes.
Les costumes de Jean-Michel Angays ne s’inspirent malheureusement pas de ce dépouillement forcé, versant dans un délire pharaonique de carnaval, bien plus vaches maigres à Cinecittà que péplum hollywoodien : jupettes, manteaux dorés et tuniques blanches sacerdotales, rien ne manque à cette Égypte de pacotille dont le kitsch déteint sur le jeu des protagonistes.
Plutôt que de tenter d’habiter par une direction d’acteurs fouillée l’immense plateau d'un Auditorium de Dijon réduit à la quasi-nudité, Éric Perez emprunte des voies opposées, tantôt figeant ses chanteurs en bas-reliefs, tantôt les livrant à des affrontements d’une violence caricaturale. Belle idée cependant que le triomphe céleste des amants emmurés vivants, quand Amnéris gît, animal blessé, dans l’obscurité.
L’audacieux pari de l’Opéra de Dijon s’avère néanmoins de plus haute tenue vocale que scénique, grâce à l’Aïda de Manon Feubel au premier chef. Avec dans le timbre cette pointe de glamour qui n’appartient qu’aux voix québécoises, la soprano fait mieux que surmonter les difficultés d’un rôle en mal de titulaires. Aigu ardent, médium chaleureux, et grave savamment coloré de résonances de poitrine, son esclave éthiopienne sait sculpter et nourrir la ligne, chanter piano, et même dolce l’ut de l’air du Nil, avec toujours une souplesse, un rebond du flux vocal.
Une fois admis que Nora Gubisch n’est pas un grand mezzo verdien, qu’elle n’a donc ni l’opulence ni l’entendue vocales de Giulietta Simionato ou Grace Bumbry, son Amnéris se révèle d’une belle étoffe sombrée dans le médium, volontaire jusque dans ses excès sinon charnue aux extrêmes de la tessiture. Surtout, la mezzo française impressionne par une constante intelligence des sinuosités du texte, qui dessinent une princesse infiniment garce, dévastée par la jalousie.
L’objet de son humiliation prend les traits du colosse sud-africain Stefan Louw. Sans doute les moyens de ce dernier sont-ils en-deçà des exigences de Radamès, d’autant que l’aigu manque de liberté. Mais au moins déploie-t-il un vrai timbre de ténor, et non un baryton à la quinte aiguë développée comme il est de plus en plus souvent de mise dans ces emplois. Et puis il ose, sans nécessairement les réussir, les nuances écrites, et ce dès le sib morendo de Celeste Aida.
Plus générique et gris de timbre, l’Amonasro de Mikael Babajanyan pallie le nivellement des consonnes par le mordant des voyelles, alors que toutes les ressources vocales de Jérôme Varnier sont mobilisées par les éclats autoritaires de Ramfis.
Comme dans Falstaff en juin dernier au Théâtre des Champs-Élysées, Alain Altinoglu s’inscrit dans le sillage, aujourd’hui de moins en moins profond, des grands maestri concertatori à l’ancienne, ces chefs d’orchestre dont le principal souci était de servir au mieux la musique en allant droit au but, c’est-à -dire le théâtre, sans prendre au pupitre des poses extasiées comme pour pointer de la baguette ces raffinements présumés inouïs de l’écriture qu’ils savaient déceler dès la première lecture pour les intégrer à des phrasés sans concession, mais de la plus haute tenue.
Ainsi dirigé, l’Orchestre de l’Opéra de Dijon fait entendre les plus fins détails d’Aïda en dépit d’une acoustique à double tranchant, en ce qu’elle flatte la sonorité d’ensemble autant qu’elle surexpose la relative minceur de l’effectif de cordes. Sans doute la battue du chef français aurait-elle pu s’abandonner davantage dans les duos du III, où l’émission de Manon Feubel se durcit l’espace d’un Nella terra avventurata. Car partout ailleurs, l’allure est preste, mais a tempo giusto.
| | |
| | |
|