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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production du Tour d’écrou de Britten mise en scène par Dominique Pitoiset et sous la direction de Jane Glover à l’Opéra de Bordeaux.
Fantômes d’aujourd’hui
CĂ©cile Perrin (Miss Jessel) et Mireille Delunsch (la Gouvernante)
Magnifique et intimiste, le Grand-Théâtre de Bordeaux est un écrin idéal pour le chef-d’œuvre chambriste de Britten, le Tour d’écrou, qui ne nécessite qu’un orchestre de treize instrumentistes dont un pianiste, mais exige une véritable proximité théâtrale, qu’a très bien su rendre la mise en scène transposée dans les années 1960 de Dominique Pitoiset.
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Peut-on impunément transposer l’action de The Turn of the Screw de l’Angleterre victorienne d’Henry James à la Scandinavie des années 1960 ? Dominique Pitoiset a relevé ce défi avec succès à l’Opéra de Bordeaux, même si ce détournement modifie un peu notre perception de l’ouvrage. Le Tour d’écrou devient alors plus réaliste, presque cartésien, il y perd non seulement une partie de son mystère et de son ambiguïté mais aussi la poésie qui le rattache à la littérature fantastique et surtout à une certaine atmosphère romanesque anglaise du XIXe siècle, celle des sœurs Brontë par exemple.
Ce n’est pas un hasard si aucun des grands metteurs en scène britanniques actuels, même les plus décoiffants, ne s’est risqué à pareille transposition, que ce soit Deborah Warner à Covent Garden – spectacle vu à Bobigny –, ou plus récemment David McVicar à l’English National Opera – dans une production créée au Mariinski de Saint-Pétersbourg. De son côté, Luc Bondy, dans sa lecture de référence au Festival d’Aix-en-Provence puis pour les Wiener Festwochen et le Théâtre des Champs-Élysées, avait lui aussi respecté l’époque et le lieu tout en insufflant une atmosphère hitchcockienne, avec une Mireille Delunsch rappelant étrangement Marnie.
Dans une interview publié dans le programme, Dominique Pïtoiset fait aussi référence à l’univers d’Hitchcock et d’Ingmar Bergman : « Toutes les scènes – même celles d’extérieur – se déroulent dans la maison… une grande maison de banlieue un peu trop vide, un peu trop froide, située à la périphérie d’une grande ville, avec au bout du jardin une balancelle rouillée, une grande baie vitrée qui donne sur une rangée de thuyas d’où émergent des visiteurs du soir en imperméable : les autres ». Les Autres est d’ailleurs le titre d’un très beau film d’Alejandro Amenabar avec Nicole Kidman, grande réussite du cinéma fantastique de ces dernières années, preuve que les histoires de fantômes ne sont pas forcément liées à l’Angleterre et à l’Écosse des XVIIIe et XIXe siècles.
Orientation psychanalytique
Pourtant, même si la démarche de Pitoiset n’est jamais appuyée et s’il laisse à chaque spectateur le choix d’une interprétation surnaturelle ou plus rationnelle, l’orientation se révèle in fine surtout psychanalytique. Le jeu, l’expression et le regard hagard de Mireille Delunsch dont on admire une nouvelle fois les impressionnantes qualités de comédienne et le total investissement dans son rôle comme dans les partis pris du metteur en scène, ne laissent guère de doute quant aux troubles psychologiques de la gouvernante.
Une gouvernante dont l’imagination sans doute plus maladive que perverse est nourrie de ses frustrations affectives et sexuelles dans la solitude absolue qui est la sienne. Totalement refoulée, elle est d’évidence tombée amoureuse du tuteur des enfants et reporte sur le jeune Miles son trop plein d’affection, sombrant peu à peu dans une folie schizophrène.
Alors que l’on n’est jamais tout à fait certain que les enfants voient vraiment les fantômes de Miss Jessel – étonnante première apparition de Cécile Perrin dans la travée centrale au milieu du public – et de Peter Quint, il ne fait aucun doute que, fantasmes ou réalité, ils soient présents pour la gouvernante à l’esprit dérangé. À cet égard, l’atmosphère est tout aussi oppressante dans ce huis clos glacial que dans les productions classiques.
Mireille Delunsch Ă©gale Ă elle-mĂŞme
Sous la direction experte de Jane Glover, les instrumentistes de l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine rendent totale justice à la partition de Britten et contribuent de manière significative à cette atmosphère d’enfermement étouffant. Les chanteurs sont tous remarquables. Outre Mireille Delunsch, annoncée souffrante mais néanmoins égale à elle-même dans l’un de ses grands rôles, on retrouve l’autre incontournable figure féminine de la production de Luc Bondy, Hanna Schaer. Elle compose ici une Mrs Grose beaucoup plus jeune, plus ambiguë, totalement différente de la brave servante dévouée et fruste qu’elle incarnait précédemment.
Pour ses débuts dans l’ouvrage, Paul Agnew, également en charge du Prologue, se révèle un Peter Quint très inquiétant, d’autant plus dérangeant que, au contraire de Bondy, Pitoiset ne confirme jamais ses relations pédophiles avec Miles. Elles restent hypothétiques, dans l’imagination de la gouvernante. Enfin, on saluera tout particulièrement l’interprétation vocale et dramatique des deux enfants, la Flora de Morgane Collomb et le Miles magistral de Louis-Alexander Désiré.
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