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CRITIQUES DE CONCERTS |
30 octobre 2024 |
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Concert de l’Orchestre de Paris sous la direction de Long Yu, avec la participation du violoncelliste Jian Wang à la salle Pleyel, Paris.
La Chine, une nouvelle puissance musicale
Qigang Chen
Soirée sous le signe de la Chine pour l'Orchestre de Paris, avec la venue du violoncelliste Jian Wang et sur l'estrade de Long Yu. Plus encore, c'est la reprise d’Iris dévoilée du compositeur franco-chinois Qigang Chen qui impressionne. Mêlant avec maestria orchestre classique et instruments traditionnels chinois, c'est un chef-d'œuvre de notre époque.
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Extrêmement cohérent, le programme présenté ce soir par l'Orchestre de Paris prend l'accent chinois. Que Long Yu, le directeur musical de l'Orchestre Philharmonique de Chine et de l'Orchestre Symphonique de Guangzhou, soit invité à la tête de la formation de Christoph Eschenbach signale l'avènement irréfutable d'une nouvelle puissance musicale. Car autant l’habitude est prise de voir dans nos salles des musiciens venus de Corée ou du Japon, autant les Chinois restent rares et attendent probablement la prochaine décennie pour éclater en nombre sur la scène internationale.
En ouverture, le Concerto pour violoncelle de Haydn avec Jian Wang en soliste. D'une grande liberté rhapsodique, le violoncelliste chinois illumine avec pudeur la cadence du premier mouvement. Présenté dans le programme comme le « Lang Lang du violoncelle », Wang qui a terminé ses études aux États-Unis, après avoir été repéré à Shanghai par Isaac Stern en 1979, n'apparaît en rien cependant comme un show-man.
Le vif-lent-vif, très simple, de ce concerto de Haydn, ne le permet d'ailleurs pas. On devine néanmoins dans certains traits d'archets un tempérament volcanique, canalisé ici au mieux. L'Orchestre de Paris sertit son jeu d'un accompagnement sensible et poétique.
Mais l'événement du programme réside à vrai dire bien davantage dans la reprise d’Iris dévoilée de Qigang Chen, œuvre pour deux voix de femmes, trois instruments traditionnels chinois et grand orchestre, créée en 2001 au festival Présences de Radio France. Si les notes de programme annoncent une nouvelle fois une musique « du monde global du XXIe siècle », affirmons haut et fort qu'il s'agit tout simplement d'un chef-d'œuvre d'aujourd'hui !
Toutes les banalités rabâchées jusqu'à satiété sur le métissage des cultures, le croisement Orient-Occident, s'y incarnent avec une ampleur proprement saisissante. C'est que son compositeur venu en France dans les années 1980 est lui-même un parfait exemple de ces rencontres.
Qigang Chen fut en effet le dernier – et unique durant quatre ans – élève d'Olivier Messiaen. Naturalisé en 1992, il écrit, avec une science timbrique d’orfèvre, une des musiques françaises les plus somptueuses qui se puissent imaginer. Aussi, l'idée d'ajouter ici à un orchestre classique un soprano « occidental » – Xiaoduo Chen –, trois instruments traditionnels chinois et surtout un soprano chinois issu de l'Opéra de Pékin – la magnifique Meng Meng en costume traditionnel –, dont la voix stridente et expressive défie l'imagination pour nous autres occidentaux, frappe juste et dépasse la simple anecdote instrumentale.
Sonorités extravagantes
En neuf adjectifs, Iris dévoilée dresse en outre un portrait de la Femme allégorique. Et invente du nouveau en plongeant dans le très ancien. Le deuxième mouvement, Pudique, éblouit ainsi par l'évidence de la rencontre entre deux traditions millénaires. Car ces quarante minutes de musique verront de grandes envolées de cordes à la Messiaen – pour Tendre et Voluptueuses –, une magie debussyste de sirène et l'apparition très pensée tout d'abord du pipa (interprétée par Jia Li), puis du zheng (la cithare à 21 cordes tenue par Jing Chang), quand l'orchestre entier se verra paré de sonorités extravagantes et on ne peut plus contemporaines pour assurer l'entrée du erhu de Nan Wang.
Par-delà , Iris s'annonce, à l'égal des partitions de Rimski-Korsakov et Ravel, une bible potentielle en matière d'orchestration. Comme personne, Qigang Chen fait fusionner les timbres, les contredit, les prolonge de la plus poétique des manières. Il tisse d'étonnantes passerelles entre la voix et l'instrument. Nombre de jeunes compositeurs seraient bien avisés d'y jeter un œil ! La somme d'alliages nouveaux y est étonnante et promet nombre de sonorités nouvelles.
Le public français, surpris et agréablement déstabilisé, échange souvent ses impressions entre chaque mouvement. Gageons que le public chinois soit pareillement décontenancé par cette vaste synthèse exécutée avec une telle maestria.
L'Orchestre de Paris, sous la direction large et inspirée de Long Yu, livre une interprétation plus somptueuse encore que celle de la création par l'Orchestre national de France, parue au disque chez Virgin Classics, et que nous vous invitons d'ailleurs à vous procurer de toute urgence.
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Salle Pleyel, Paris Le 14/01/2009 Laurent VILAREM |
| Concert de l’Orchestre de Paris sous la direction de Long Yu, avec la participation du violoncelliste Jian Wang à la salle Pleyel, Paris. | Joseph Haydn (1732-1809)
Concerto pour violoncelle et orchestre en ut majeur, Hob. VIIb.1
Qigang Chen (*1951)
Iris dévoilée, suite concertante pour deux voix de femme, trois instruments traditionnels chinois et grand orchestre
Jian Wang, violoncelle
Meng Meng, soprano traditionnel
Xiaoduo Chen, soprano
Nan Wang, erhu
Jia Li, pipa
Jing Chang, zheng
Roland Daugareil, violon solo
Orchestre de Paris
direction : Long Yu | |
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