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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Récital du pianiste Evgeni Kissin dans le cadre des productions internationales Albert Sarfati au Théâtre des Champs-Élysées, Paris.
L’enfant devenu roi
« Kissin est le roi ! » L’exclamation d’un spectateur résume l’impression produite par ce fabuleux récital consacré à Chopin et Prokofiev par le pianiste russe au Théâtre des Champs-Élysées. Celui qui débuta en public à 12 ans avec les deux concertos de Chopin est maintenant, à 37 ans, l’un des maîtres absolus du monde pianistique.
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L’évolution aurait pu ne pas se produire. Il est bien des enfants prodiges qui, tout en restant de bons musiciens et en réalisant de fort honorables carrières, ne répondent pas à tous les espoirs suscités par la précocité de leurs dons. D’une certaine manière, Evgeni Kissin a dépassé les plus grandes espérances en devenant peu à peu l’une des quelques personnalités majeures de l’art du piano, comme le furent les Richter, Guilels et une petite poignée d’autres souverains à la génération précédente.
Et cela avec une approche de l’instrument très différente, exemple accompli de l‘évolution de la technique pianistique à la fin du XXe siècle et au début du XXIe. Une dextérité digitale totalement ahurissante transforme presque le piano en instrument à archet et non à percussion quand l’œuvre peut s’y prêter. Les traits, voire une œuvre entière – comme certaines des études de Chopin jouées ce soir – prennent une fluidité telle que l’instrument chante comme le violon ou même la voix humaine.
Chez Kissin, mais pas chez tous les autres, la clarté reste totale, car on continue, dans ce flot, à pouvoir distinguer chaque note, grâce notamment à un travail magistral de pédale et d’accentuation. Les exemples les plus frappants en ce domaine sont les Études opus 10 n° 2, avec ce démoniaque chromatisme sur les quatrième et cinquième doigts de la main droite ; opus 12 n° 6, aux tierces non moins infernales ; et n° 11. Tout est alors expression musicale, phrasé, accents, nuances, rendant à ces difficultés leur vrai sens : exprimer des émotions au-delà de l’excitation superficielle que procure la virtuosité.
Toute la seconde partie du récital est consacrée à diverses pages de Chopin, Polonaise-Fantaisie et trois mazurkas, outre ces quelques études extraites des deux opus. C’est une occasion pour Kissin de nous entraîner dans une autre sorte de rêve romantique, plus intérieur encore, tout en demi-teintes, en effleurements, en discrètes interrogations.
Le récital avait débuté dans un univers totalement différent, avec trois extraits de la suite pour piano de Roméo et Juliette de Prokofiev – on aurait aimé la suite entière ! – et la 8e sonate du même compositeur. Ici, le toucher est différent, les fulgurances d’une autre nature, l’approche du clavier fidèle à une écriture plus heurtée, mais on est tout aussi subjugué par l’intelligence qui préside à la traduction de ces structures aux violents emportements et par la manière dont la force et l’angoisse sont rendues sans dureté, sans ces chocs qui pourraient n’être que brutaux et y perdre leur vrai message, celui de la souffrance profonde des agressions guerrières.
Le son est superbe, les contrastes une fois encore savamment ménagés et organisés. Quand on revient sur terre au moment où le piano se tait, on demeure quelques instants dans l’éblouissement d’un art aussi magistralement maîtrisé.
Tout raide comme un collégien qui aurait mis son plus beau costume pour la fête de fin d’année, Kissin salue avec un gentil sourire, l’air tout heureux. Il ramasse les fleurs qui, tombant sur lui, lui font un peu peur, donne deux bis somptueux et repart avec un bouquet serré sur le cœur, comme le premier de la classe quittant l’estrade avec son prix d’excellence. Tout simplement…
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Théâtre des Champs-Élysées, Paris Le 18/01/2009 Gérard MANNONI |
| Récital du pianiste Evgeni Kissin dans le cadre des productions internationales Albert Sarfati au Théâtre des Champs-Élysées, Paris. | Prokofiev, Chopin
Evgeni Kissin, piano | |
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