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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Salomé de Strauss mise en scène par Nicolas Brieger et sous la direction de Gabriele Ferro au Grand Théâtre de Genève.
Perverse et amorphe
Dans le sillage de la Trilogie du diable d’Olivier Py, la Salomé à l’affiche du Grand Théâtre de Genève explore les bas-fonds de la perversité. Malgré une bonne distribution et en dépit d’une baguette proche du naufrage, cette nouvelle production vaut surtout pour la présence dans le rôle-titre d’une bête de scène qui a pour nom Nicola Beller Carbone.
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Salomé se mérite. En ce dimanche d’un hiver rigoureux, il aura fallu braver la neige, le brouillard et des routes bien mauvaises pour gagner Genève, où la représentation débutera avec une demi-heure de retard suite à l’égarement d’un musicien sur les chemins.
Mais qu’importe, le premier opéra noir de Strauss est de ces ouvrages sulfureux qui créent encore et toujours l’événement. Dans la lignée d’une Trilogie du diable qui pouvait heurter les âmes sensibles en début de saison, la production de Nicolas Brieger n’y va pas non plus par quatre chemins dans le vice.
La perversité rôde ainsi partout : dans cette société dégénérée d’état policier à la Salò ; dans cette Hérodiade ravagée par l’alcool, qui imite les pas de chatte en chaleur de sa fille au-dessus de la citerne, qui y trémousse des cuisses plus très fraîches pour aguicher le prophète, tandis que son page lui promène quelques glaçons sur le mont de Vénus ; dans cet Hérode à la Michael Lonsdale au départ plutôt classe, réconforté par un mignon, avalé dans le cocon d’une Danse des sept voiles sado-maso et regressive culminant sur l’accouchement du monarque par sa belle-fille, au milieu d’oreillers et de poupons, et, touche suprême de débauche, sous un grand miroir au plafond ; dans cette Salomé-Mylène Farmer en insupportable femme-enfant, qui s’agite, provoque et boude de n’avoir sans doute pas reçu la fessée qu’elle méritait.
La scénographie elle-même, avec ce palais bancal au-dessus d’un abattoir, dit assez à quel point ce petit monde est désaxé, même si les témoins festoyants de cette histoire sordide ont la décence de fermer les volets au moment du baiser final. On retiendra également la présence inquiétante du bourreau en homme-araignée funambule dès l’entrée en scène du couple royal, et le gore d’une scène finale d’un réalisme à la limite du supportable.
Au vu de ces diverses idées percutantes, on regrettera des lacunes de réalisation qui entament en partie la crédibilité du spectacle, notamment dans sa première moitié : ainsi de toute la scène de Iokanaan, sorte de primate enragé et dopé aux amphétamines, qui éructe sa violence sous d’épais cheveux gras de hard-rocker, entouré de soldats armés comme face à un dangereux psychopathe ; ainsi de l’ouverture du rideau sur une scène d’humiliation forte mais gâtée par les rires gras et outrés des convives.
Impairs d’autant plus fâcheux que le plateau est dans l’ensemble très satisfaisant, et notamment le rôle-titre, que Nicola Beller Carbone habite avec un don inné du théâtre et de la tragédie, dans une gradation de l’enfant à la femme horrifiée par son crime qui fait froid dans le dos, avec aussi une énergie physique typique des bêtes de scène et, last but not least, des moyens à l’avenant.
Un aigu chauffé à blanc
Avec une voix pas phénoménale mais bien placée, un chant très concentré et un aigu chauffé à blanc, l’Allemande laisse une Salomé de l’animalité et du rayonnement d’une Janice Baird à ses débuts, qui gagnerait seulement à homogénéiser les registres, à enrober un rien le grave et à mieux timbrer des piani magnifiques d’intention.
Kim Begley défend un Hérode large et sonore mais toujours lucide et chantant toutes les notes, Hedwig Fassbender une Hérodiade de celles qui auraient pu naguère chanter la Princesse de Judée, avec un aigu très accroché et une détresse palpable dans le timbre qui en font un être de chair, loin des harpies.
Un peu gauche en scène, le jeune Jussi Myllys est un Narraboth modèle, tout en soin de l’émission, en legato, en souplesse belcantiste, sans pousser la moindre note, tout l’inverse en somme du Iokanaan au métal bien trempé et clair d’Alan Held, qui chante sans nuance ni aura prophétique et tellement sous tension qu’un aigu sur deux peine à trouver sa stabilité.
Mais plus que par quelques scories scéniques et vocales, la production est plombée par la direction lente, amorphe et négligente de Gabriele Ferro, qui se réveille à peine à la scène finale et agit jusque-là par petites touches insignifiantes – un quintette des Juifs littéralement ahané – quand on attendrait une acuité, un flamboiement, un tranchant à même de porter la violence d’une partition qui est une bombe à retardement. L’Orchestre de la Suisse romande, d’une pâleur à mourir, en ressort forcément lessivé.
Qu’on se le dise, l’excellence de la partie orchestrale dans Salomé est condition sine qua non, si bien que nulle maison d’opéra de renommée ne devrait se contenter, pour des ouvrages de ce calibre, de troisièmes couteaux.
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Grand Théâtre, Genève Le 22/02/2009 Yannick MILLON |
| Nouvelle production de Salomé de Strauss mise en scène par Nicolas Brieger et sous la direction de Gabriele Ferro au Grand Théâtre de Genève. | Richard Strauss (1864-1949)
Salome, drame en un acte (1905)
Livret tiré de la pièce d’Oscar Wilde, traduite en allemand par Hedwig Lachmann
Orchestre de la Suisse romande
direction : Gabriele Ferro
mise en scène : Nicolas Brieger
décors : Raimund Bauer
costumes : Andrea Schmidt-Futterer
Ă©clairages : Alexander Koppelmann
Avec :
Kim Begley (Herodes), Hedwig Fassbender (Herodias), Nicola Beller Carbone (Salome), Alan Held (Jochanaan), Jussi Myllys (Narraboth), Carine Séchaye (Page der Herodias), Matthias Aeberhard (Erster Jude), Alain Gabriel (Zweiter Jude), François Piolino (Dritter Jude), Michael Howard (Vierter Jude), Phillip Casperd (Fünfter Jude), Marc Mazuir (Erster Nazarener), Simon Kirkbride (Zweiter Nazarener), Wolfgang Barta (Erster Soldat), Hans Griepentrog (Zweiter Soldat), Dimitri Tikhonov (Ein Cappadocier), Elidan Arzoni (Ein Sklave). | |
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