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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Reprise de la Calisto de Cavalli mise en scène par Herbert Wernicke sous la direction de René Jacobs au Théâtre de la Monnaie, Bruxelles.
Les astres sont Ă©ternels
La Calisto de Cavalli mise en scène par le regretté Herbert Wernicke est à l’opéra vénitien ce que la production d’Atys de Lully signée Jean-Marie Villégier est à la tragédie lyrique, une référence absolue. Quinze ans après sa création, force est de constater que le spectacle n’a rien perdu de son pouvoir d’émerveillement, ni René Jacobs de son sens de l’habillage musical.
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Théâtre royal de la Monnaie, Bruxelles
Le 27/02/2009
Mehdi MAHDAVI
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Si l’on excepte le Retour d’Ulysse, et peut-être plus encore le Couronnement de Poppée, laboratoires génialement aboutis d’un genre à peine né – comme d’ailleurs l’Orfeo du même Monteverdi l’avait été pour l’opéra de cour –, La Calisto de Francesco Cavalli constitue, quinze ans après l’ouverture du premier théâtre public d’opéra à Venise, un apogée autant qu’un point de non-retour à partir duquel librettistes et compositeurs allaient se soumettre pleinement à des impératifs commerciaux, jusqu’à la dégénérescence.
Alors que les héros et les figures historiques, flanqués de leurs antagonistes comiques issus de la plèbe, les avaient supplantés sur la scène lyrique, Giovanni Faustino renoua avec les dieux de l’Olympe. Des dieux certes, mais au travers bien humains, dans les excès d’une lubricité décadente ou d’une jalousie vindicative.
Le verbe pulvérise toute décence poétique, et la mélodie, à son point d’équilibre parfait entre recitar et cantar, l’accompagne de ses courbes lascives ou de ses coloratures furieuses. Dans sa sincérité aveugle, parfois dévote, l’homme en sort-il grandi ? Rien n’est moins sûr, tant Calisto s’abandonne avec volupté aux vertiges d’une sexualité ambiguë, tant la chaste flamme d’Endymion le condamne à une neurasthénie monomaniaque finalement plus exaspérante que touchante.
Vierge, ou presque, des précédentes reprises comme du DVD paru chez Harmonia Mundi, l’œil s’émerveille, ô combien, de l’art total du regretté Herbert Wernicke. Ce spectacle marque en effet la rencontre au firmament de cet immense homme de scène – directeur d’acteurs, scénographe et costumier – et de la culture baroque.
Car la boîte ornée de la voûte céleste de Giovanni De’Vecchi est d’abord une formidable machine de théâtre, mise en abyme dès lors qu’elle laisse apparaître ses faux rouages, comme pour mieux déployer la magie propre au vocabulaire de l’illusion baroque, depuis les cintres, d’où surgissent les dieux, jusqu’aux dessous, où se dissimulent toutes les débauches.
Et puisque les jeux auxquels se livre Jupiter, flanqué de Mercure et d’une cohorte de satyres et autres divinités sylvestres, sont assurément grivois, Wernicke leur prête sans équivoque les masques de la Commedia dell’arte, épousant la verve iconoclaste du livret de Faustino et de son labyrinthe sexuel, au détour duquel jaillissent des images d’une infinie poésie.
Un concerto d’istromenti d’apparat
Vierge des procédés d’habillage musical de René Jacobs dans l’opéra du Seicento, l’oreille l’est assurément moins. Fondamento profus et ornamento élargi de trois à cinq voix, avec l’adjonction de deux alti, mais également de flûtes, cornets et trombones, le chef gantois a toujours préféré à l’ascétisme économe des fosses vénitiennes la luxuriance d’un concerto d’istromenti d’apparat, n’hésitant pas à emprunter des ritournelles instrumentales à d’autres compositeurs lorsque le théâtre le réclame. Et si d’aucuns reprochent à l’élan rigoureusement millimétré imprimé à la déclamation de contredire la notion de sprezzatura, cette nonchalance rythmique calquée sur le débit naturel de la parole, il assure à l’ensemble du plateau une unité stylistique rare.
Aussi percutant en voix de poitrine qu’en falsetto, où il déploie une souplesse et des couleurs étonnantes, Johannes Weisser est un Jupiter savoureux dans son irrépressible concupiscence, sa féminité pataude. Mieux qu’un faire-valoir, le Mercure de Georg Nigl éclaire son timbre d’accents ludiques.
Ses écarts de tessiture impossibles n’apaisent la fureur de Junon que dans l’extrême grave d’Inga Kalna, ailleurs maléfique de couleur et de vibrato. L’astre de Diane, à laquelle Caitlin Hulcup prête son engagement scrupuleux, ne peut qu’en pâlir, mais n’en éclaire pas moins de ses reflets l’Endymion de Lawrence Zazzo, constamment éloquent dans sa plainte immuable.
Plus que Max Emanuel Cencic, Satirino au physique idéalement prépubère mais vocalement sous-employé, Thomas Walker fait une composition réjouissante en nymphe chaste malgré elle. Quant à Sophie Karthäuser, il lui suffit de paraître pour être Calisto, simple et lumineuse, innocente encore, et dont le timbre se colore aux plaisirs de la chair. Quel que soit le répertoire, la soprano belge distille un même sentiment d’évidence, un naturel désarmant du chant comme expression d’un être d’une profonde limpidité.
Et si la nymphe de Diane reçoit l’immortalité sous la forme d’une constellation, Sophie Karthäuser occupe déjà une place de choix dans notre firmament lyrique.
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Théâtre royal de la Monnaie, Bruxelles Le 27/02/2009 Mehdi MAHDAVI |
| Reprise de la Calisto de Cavalli mise en scène par Herbert Wernicke sous la direction de René Jacobs au Théâtre de la Monnaie, Bruxelles. | Francesco Cavalli (1602-1676)
La Calisto, dramma per musica en trois actes (1651)
Livret de Giovanni Faustini d’après les Métamorphoses d’Ovide
Concerto Vocale
direction : René Jacobs
mise en scène, décors, costumes : Herbert Wernicke
reprise de la mise en scène : Dagmar Pischel
Ă©clairages : Robert Brasseur
Avec :
Sophie Karthäuser (Calisto / Eternità ), Johannes Weisser (Giove), Georg Nigl (Mercurio), Lawrence Zazzo (Endimione), Caitlin Hulcup (Diana / Destino), Thomas Walker (Linfea), Max Emanuel Cencic (Satirino / Furia), Magnus Staveland (Pane / Natura), Angélique Noldus (Furia), Konstantin Wolff (Silvano), Inga Kalna (Giunone). | |
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