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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 novembre 2024 |
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Première à l’Opéra d’Avignon de la Manon de Massenet mise en scène par Nadine Duffaut, sous la direction de Vincent Barthe.
Enfin une Manon authentique !
Patrizia Ciofi (Manon)
C’est à l’Opéra d’Avignon où elle avait déjà abordé Leïla des Pêcheurs de perles en 2007 que Patrizia Ciofi a choisi d’interpréter sa première Manon dans une mise en scène d’une belle authenticité de Nadine Duffaut, créée à Nice en mars 2008. Un spectacle illustratif très réussi, chanté dans un français parfait.
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Lights, camera, action !
Vigueur et courants d’air
En passant par la mort
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Mozartienne et belcantiste émérite, Patrizia Ciofi retrouvera les Chorégies d’Orange en juillet prochain pour une Traviata dirigée par Myung-Whun Chung. Dans le répertoire français, elle s’est illustrée jusqu’ici en Micaëla et Antonia à l’Opéra de Marseille, et dans Robert le diable de Meyerbeer à Martina Franca, festival spécialisé dans les raretés et principalement à l’origine de sa notoriété internationale.
Manon exige beaucoup de son interprète sur le plan dramatique comme vocal, pour assumer une tessiture à la fois très aiguë et virtuose, mais sollicitant aussi le médium dans les scènes plus lyriques. À cet égard, c’est sans doute le rôle le plus lourd abordé jusqu’ici par la diva transalpine, qui triomphe avec maestria de tous ces défis et plus encore des pièges de la prosodie française fatale à bien des Manon d’origine étrangère, comme Anna Netrebko.
On saluera donc d’abord l’excellence du français de la Ciofi, qui non seulement élimine toute trace d’accent italien mais articule impeccablement son texte. D’ailleurs, si l’on ne devait retenir qu’une qualité du spectacle exemplaire de l’Opéra d’Avignon, ce serait l’idiomatisme général de tous les protagonistes. À une époque où le français est si souvent malmené et réduit à une bouillie informe par des chanteurs qui n’ont pas toujours l’excuse d’être « venus d’ailleurs », on rend enfin justice à Manon, défendue par une équipe à la prononciation impeccable.
Autre atout à souligner, la fidélité de la production, signée par un trio féminin, au livret et à l’esprit du roman initial de l’Abbé Prévost. Après tant de relectures actualisées avec plus ou moins de pertinence, Nadine Duffaut ne cherche pas midi à quatorze heures et restitue avec une exactitude appréciable et reposante des caractères et des situations indissociables du libertinage du début du XVIIIe siècle.
Les turpitudes des mœurs de la régence sont soulignées sans complaisance, dans des tableaux reflétant scrupuleusement l’époque et la futilité comme les dépravations d’une certaine société. Les splendides costumes de Katia Duflot sont d’une sobre élégance, la délicatesse de leurs coloris digne des pastels de Greuze, et les décors figuratifs d’Emmanuelle Favre très adaptés.
Unique réserve, la rupture de style du dernier tableau avec le reste de la production : le lustre effondré gisant au milieu de la scène et les chaises renversées seraient en situation dans un spectacle symboliste. Ici, ils sont en total décalage avec le parti pris illustratif qui a précédé.
Autre satisfaction, la restitution de passages qu’on n’avait jamais entendus à la scène : un air de Lescaut et un air de Guillot au début du IV, à l’Hôtel de Transyslvanie. Dans le même souci d’intégrité, la production présente des scènes d’ordinaire abusivement coupées alors qu’elles sont indispensables à la dramaturgie : la fin du premier tableau et du Cours-la-Reine nous annoncent doublement la terrible vengeance de Guillot de Morfontaine.
Dans cette logique, c’est une fausse bonne idée théâtrale de faire partir Manon du Cours-la-Reine à l’insu de Guillot pendant le ballet et de mettre dans la bouche d’une fille de passage qui s’est assise sur la chaise de l’héroïne le « je n’ai rien vu » déclenchant la fureur du riche débauché qui a fait venir l’Opéra pour obtenir les faveurs de la belle.
Jeune et sans le ridicule attaché au personnage, Christophe Mortagne est un Morfontaine inhabituel et d’autant plus inquiétant, Marc Barrard un Lescaut en tous points exemplaire. Le Comte des Grieux de Marcel Vanaud défend avec sa conviction habituelle le style français malgré d’évidentes incertitudes vocales, et le Brétigny de Sergeï Stilmachenko ne passe pas inaperçu.
Triomphe pour Des Grieux
Le public fait un triomphe mérité au jeune ténor français Florian Laconi (32 ans), abordant Des Grieux avec une franchise, une santé et un aplomb impressionnants. La voix est claire, saine, bien placée et percutante. Le style et le phrasé sont irréprochables, avec une élocution parfaite. Cependant, on souhaiterait parfois un chant plus nuancé, davantage de demi-teintes et une palette de coloris plus diversifiée pour parfaire toutes ces qualités.
Il forme avec Ciofi un couple non seulement crédible mais complémentaire, tant sur le plan vocal que dramatique. Très bien dirigée par Nadine Duffaut, la soprano italienne ne néglige aucun des aspects d’un personnage tour à tour charmant et odieux, sincère et superficiel, jusqu’à la bouleversante émotion du dernier tableau où Manon comprend trop tard que seul l’amour sincère de son Chevalier était important.
Enfin, il est plus difficile de bien diriger Manon que Tristan et Isolde, et sans la direction inspirée et simplement parfaite de Vincent Barthe, qui respire à chaque instant en osmose avec la partition de Massenet, le bonheur n’aurait pas été autant au rendez-vous.
Reprise avec la même distribution au Grand Théâtre de Reims les 8 et 10 mars
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Opéra-Théâtre, Avignon Le 22/02/2009 Monique BARICHELLA |
| Première à l’Opéra d’Avignon de la Manon de Massenet mise en scène par Nadine Duffaut, sous la direction de Vincent Barthe. | Jules Massenet (1842-1912)
Manon, opéra-comique en cinq actes (1884)
Livret d’Henri Meilhac et Philippe Gille d’après le roman éponyme de l’Abbé Prévost
Coproduction avec l’Opéra de Nice, le Grand Théâtre de Reims et l’Opéra de Massy
Ballet et Chœurs de l’Opéra-Théâtre d’Avignon et des Pays de Vaucluse
Orchestre lyrique de RĂ©gion Avignon-Provence
direction : Vincent Barthe
mise en scène : Nadine Duffaut
décors : Emmanuelle Favre
costumes : Katia Duflot
éclairages : Marc Delamezière
préparation des chœurs : Aurore Marchand
Avec :
Patrizia Ciofi (Manon Lescaut), Caroline Mutel (Poussette), Sophie Haudebourg (Javotte), Clémentine Margaine (Rosette), Florian Laconi (le Chevalier des Grieux), Marc Barrard (Lescaut), Marcel Vanaud (le Comte des Grieux), Christophe Mortagne (Guillot de Morfontaine), Sergeï Stilmachenko (De Brétigny), Xavier Seince (l’hôtelier), Julie Mauchamp (la servante), Désirée Rappin (une voyageuse / une marchande), Sophie Perreard (une voyageuse), Sandrine Peris (une voyageuse), Pascale Vernassa (une voyageuse), Tanya Laing (une marchande). | |
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