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CRITIQUES DE CONCERTS |
05 décembre 2024 |
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Nouvelle production d’Hippolyte et Aricie de Rameau mise en scène par Ivan Alexandre et sous la direction d’Emmanuelle Haïm au Théâtre du Capitole, Toulouse.
Le songe de Rameau
Ivan Alexandre en a rêvé, souvent et longtemps sans doute, le Théâtre du Capitole de Toulouse a rendu réalité cette Phèdre « enrubannée de bergères, de matelots et de rossignols amoureux » telle qu’au premier jour. Même si l’œil, ainsi comblé, rend l’oreille indulgente, le Concert d’Astrée d’Emmanuelle Haïm reste en deçà du songe.
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Frénésie de la danse
Clavecin itératif
RĂ©serve expressive
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On le savait prosateur affûté, librettiste à l’occasion, le voici désormais metteur en scène. Ivan Alexandre n’est certes pas le premier à avoir franchi le pas de la critique au théâtre. Ainsi, Jean-Louis Martinoty, passé de l’Humanité à la direction de l’Opéra de Paris, étale depuis plus de trente ans son érudition dans des exégèses souvent pédantes et encombrées d’accessoires, dont l’opéra baroque, ou assimilé, est la cible régulière. Savant, le quasi-débutant – il a déjà signé une Rodelinda de Haendel à Buenos Aires –, l’est assurément, mais lui n’a pas oublié d’être poète.
Soixante-dix ans séparent la création de Cadmus et Hermione de Lully, acte de naissance de la tragédie en musique, ressuscité en janvier 2008 par Benjamin Lazar, de celle, le 1er octobre 1733, d’Hippolyte et Aricie de Rameau, première contribution au genre d’un compositeur cinquantenaire. À première vue, l’approche d’Alexandre relaie celle du disciple d’Eugène Green, prophète de l’art théâtral baroque : vols, changements à vue et kilomètres carrés de toiles peintes, rien ne manque à la reconstitution historique.
Mais il y a quelque chose en plus. Et ce quelque chose, qui dès l’ouverture du rideau nous submerge, c’est la part de rêve. Celle-là même qui creuse un gouffre entre une traduction littérale et une traduction poétique, respectueuse du mètre sans jamais en être prisonnière. Dès lors surgit le théâtre. Parce que la mise en œuvre d’un vocabulaire spécifique, jusque dans sa précision, n’est plus une fin en soi, une démonstration, mais un voyage imaginaire dans un passé idéalisé.
C’est pourquoi les somptueuses toiles d’Antoine Fontaine sont peintes en couleurs un peu fanées, la lumière d’Hervé Gary n’a pas l’univocité d’un éclairage à la bougie, les costumes de Jean-Daniel Vuillermoz ne donnent jamais l’impression de peser sous des étoffes trop lourdes et emplumées. C’est pourquoi, enfin, les solistes, sinon les choristes, ne se figent jamais dans des poses rigoureusement plaquées. Et quelle fluidité dans les enchaînements, que de surprises dans les apparitions divines, que de grâce et de fantaisie dans les ballets jamais livresques réglés par Natalie van Parys, que d’émerveillement sans cesse renouvelés.
Dans sa lettre à l’illustre librettiste Antoine Houdar de la Motte, Rameau résumait ainsi les vertus d’un bon compositeur de musique théâtrale : « Il serait donc à souhaiter qu’il se trouvât pour le théâtre un musicien qui étudiât la nature avant de la peindre, et qui, par sa science, sût faire le choix des couleurs et des nuances dont son esprit lui auraient fait sentir le rapport avec les expressions nécessaires. » Ne changez qu’un mot, et ce portrait pourrait être celui d’Ivan Alexandre.
Quant à celui du Concert d’Astrée, nous laissons à Jean-Jacques Rousseau le soin de le tracer : « Ce n’est encore rien d’être ensemble, de jouer fort ou doux, et de bien suivre un acteur. Renforcer, adoucir, appuyer, dérober des sons, selon que le bon goût ou l’expression l’exigent ; prendre l’esprit d’un accompagnement, faire valoir et soutenir des voix » n’est sans doute plus, comme le dit le philosophe, « l’art de tous les orchestres du monde », mais ce qui fait encore et toujours défaut à l’ensemble d’Emmanuelle Haïm. Les carrures manquent de variété, les danses de rebond, la couleur de densité, d’identité surtout. Et si la basse continue fait preuve d’une belle éloquence, les chanteurs n’y répondent pas tous avec la même sensibilité.
Une Aricie à l’étroit
Préférée du public du Capitole, qui l’a pour ainsi dire adoptée depuis cinq ans, Anne-Catherine Gillet semble à l’étroit dans le personnage d’Aricie, que sa voix à la fois pulpeuse et aiguisée excède, comme corsetée par les impératifs stylistiques. Philippe Talbot, qui ne devait succéder à Frédéric Antoun qu’à la représentation suivante, relève honorablement le défi de la haute-contre à la française, mais ne parvient pas à animer Hippolyte, prisonnier d’une déclamation trop quotidienne.
Jaël Azzaretti a du piquant, de l’abattage, et c’est exactement ce qu’il faut à l’Amour. Mais le vibrato de Diane et de sa grande prêtresse noient plus – Jennifer Holloway – ou moins – Aurélia Legay – leurs mots. Incontestablement plus bouffonne que furieuse, la Tisiphone d’Emiliano Gonzalez Toro nous réjouit de sa future Platée, tandis que les divinités à voix graves, Neptune et Pluton, manquent d’autorité et parfois de creux pour des abysses rendues plus inatteignables encore par le diapason à 400 Hz.
Glaçante dès son entrée – et avec quel maintien elle s’agenouille et se relève –, Allyson McHardy révèle un mezzo d’un marbre précieux, que fend une déclamation inspirée. Gigantesque enfin, le Thésée de Stéphane Degout, chante décidément, et sans que la voix jamais ne se distorde, le français le plus percutant et le plus noble qu’on ait entendu depuis longtemps.
De Rameau, Ivan Alexandre écrit qu’« il suscitait trop d’admiration et pas assez de sympathie. » Les yeux encore pleins d’un songe que nous avons fait nôtre, nous nous sommes surpris à penser que le critique si longtemps admiré, dont nous partageons modestement les principaux sujets d’étude, s’exposait désormais, artiste de plein droit, à notre sympathie.
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Théâtre du Capitole, Toulouse Le 10/03/2009 Mehdi MAHDAVI |
| Nouvelle production d’Hippolyte et Aricie de Rameau mise en scène par Ivan Alexandre et sous la direction d’Emmanuelle Haïm au Théâtre du Capitole, Toulouse. | Jean-Philippe Rameau (1683-1764)
Hippolyte et Aricie, tragédie en musique en un prologue et cinq actes (1733)
Livret de l’abbé Joseph-Simon Pellegrin d’après Phèdre de Racine.
Ballet Les Cavatines
Chœur et Orchestre du Concert d’Astrée
direction : Emmanuelle HaĂŻm
mise en scène : Ivan Alexandre
décors : Antoine Fontaine
costumes : Jean-Daniel Vuillermoz
éclairages : Hervé Gary
chorégraphie : Natalie van Parys
Avec :
Philippe Talbot (Hippolyte), Anne-Catherine Gillet (Aricie), Allyson McHardy (Phèdre), Stéphane Degout (Thésée), Françoise Masset (Oenone), Jennifer Holloway (Diane), Johan Christensson (Mercure / un suivant de l’Amour), Jaël Azzaretti (l’Amour / une bergère / une matelote), François Lis (Pluton / Jupiter), Jérôme Varnier (Neptune / troisième parque), Emiliano Gonzalez Toro (Tisiphone), Aurélia Legay (la grande prêtresse de Diane / une chasseresse), Nicholas Mulroy (Première parque / un suivant de l’Amour), Marc Mauillon (Deuxième parque / Arcas).
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