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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Jephtha de Haendel mise en scène par Jonathan Duverger et Jean-Marie Villégier, sous la direction d’Ivor Bolton à l’Opéra national du Rhin.
Dernières visions avant la nuit
Quatre ans après Theodora, présentée dans la fervente lecture de Peter Sellars, l’Opéra national du Rhin propose une version scénique du dernier drame sacré de Haendel, Jephtha. La puissance picturale avec laquelle Jonathan Duverger et Jean-Marie Villégier s’approprient les contraintes formelles du genre n’a d’égale que la palette infinie du Freiburger Barockorchester.
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La tentation de mettre en scène les oratorios de Haendel est grande, tant ces authentiques drames sacrés, bien plus que ses opéras, développent une richesse visuelle inépuisable – simultanément à la première de Jephtha à Strasbourg, Claus Guth ne dévoilait-il pas sa vision du Messie, que présentera l’Opéra de Nancy à partir du 24 avril, au Theater an der Wien ? À ce jour, l’expérience la plus aboutie en la matière demeure la Theodora élevée au rang d’acte de foi par Peter Sellars, à l’impact politique assurément redoublé lors de sa reprise à l’Opéra national du Rhin à quelques jours de la réélection de George W. Bush.
Alors qu’il s’attelle au chœur final du deuxième acte de Jephtha, le compositeur est forcé de s’interrompre, trahi par son œil gauche. Et c’est sous la menace de la cécité, qui allait le réduire au silence durant les sept années qui lui restaient à vivre, qu’il achève sa dernière œuvre originale. Avec sa vue, le génie musical de Haendel s’éteint. Mais à travers cet élan ultime, sa capacité à susciter des images s’en trouve décuplée.
Comme dans Rodelinda, la dramaturgie de Jonathan Duverger et Jean-Marie Villégier découle de la forme, dont la structure s’articule autour de ces piliers que sont les interventions du chœur, commentateur davantage qu’acteur, qui occupe durant les deux premiers actes la tribune du décor de Jean-Marie Abplanalp, temple autant que théâtre élisabéthain. Le contexte historique dans lequel s’inscrit dès lors l’histoire de Jephté, c’est-à -dire la fuite des Puritains persécutés vers la Hollande, puis le Nouveau monde, n’en est pas moins relégué au second plan par la force et la variété du vocabulaire pictural déployé.
D’autant que la succession des tableaux, depuis la parenthèse idyllique mettant en scène Iphis et Hamor dans une nature mouvante, jusqu’aux scènes d’intérieurs empruntées à Pieter de Hooch, soudain transcendées par des clairs-obscurs dignes de Rembrandt, reflète exactement leur traitement musical. Véritable point culminant du drame sacré haendélien, le vaste mouvement qui clôt le deuxième acte concentre un regard épuré sur la figure de Jephté, statufié par les conséquences funestes d’un vœu inconsidéré. N’était le céleste Waft her angels, auquel répond le limpide adieu à la vie terrestre d’Iphis, l’oratorio pourrait s’achever là .
Haendel peina en effet à venir à bout d’une fin conventionnelle, et qui pâlit, ô combien, devant celle de Theodora. Les metteurs en scène ne sont d’ailleurs pas plus dupes de l’apparition de l’Ange, dont le clinquant naïf de la pose et du costume jure avec l’austérité de la production, mais s’accorde avec une vocalité italianisante, dans ce qu’elle a de plus vainement décoratif. Plus d’une fois même, le compositeur paraît absent. Aussi, Duverger et Villégier s’effacent, solistes à la tribune, en version de concert, comme une simple observance du culte.
Des chœurs exemplaires
En pur chef de fosse, Ivor Bolton coordonne, sait animer, aussi, ce qui ne relève que du drame, beaucoup moins ce qui a trait à la métaphysique. Mais à dire vrai, le Freiburger Barockorchester jouerait aussi bien sans chef, porté qu’il est par l’archet de Petra Müllejans. La variété des couleurs, la profondeur de la dynamique, la réactivité dans l’articulation sont proprement stupéfiants. Aussi peu familiers de ce répertoire qu’il est possible, les Chœurs de l’Opéra du Rhin auraient pu souffrir de la proximité d’un tel orchestre s’ils ne s’étaient soumis à une discipline drastique : ils sont exemplaires, sinon tout à fait authentiques.
Les solistes, eux, le sont assurément, à commencer par l’Iphis de Carolyn Sampson, haendélienne aguerrie et sensible, d’une lumière filée jusqu’au sacrifice. Tendu toujours, et acide parfois, le contre-ténor de Christophe Dumaux parvient pour ces raisons mêmes à donner corps à un personnage qui ne survivrait pas à la placidité d’un timbre étale, tandis que par la diction, la vaillance, Andrew Foster-Williams s’inscrit dans l’exact sillage des clefs de fa britanniques indispensables à ces emplois belliqueux.
Dès lors qu’il s’agit de Haendel, Ann Hallenberg n’a pas de rivale dans sa tessiture. Mieux encore, qui a eu dans Storgè, qui est proprement inchantable, cette profondeur constante, jusqu’à ce degré d’hallucination dans l’articulation ? Et parce que son timbre, en mûrissant, emprunte de plus en plus de couleurs à celui de l’illustre Anthony Rolfe Johnson, insurpassé dans les rôles écrits pour John Beard, Topi Lehtipuu distille une sorte d’évidence, accrue par la conduite supérieure du chant. Nul doute que les ombres souterraines qui font encore défaut à son portrait de Jephtha se creuseront au fil des représentations.
Prochaines représentations le 2 avril à l’Opéra de Strasbourg, le 4 avril à l’Abbatiale de Marmoutier (version de concert), les 17 et 19 avril au Théâtre de la Sinne à Mulhouse, le 26 avril au Théâtre municipal de Colmar.
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