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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Intégrale des symphonies de Beethoven par la Deutsche Kammerphilharmonie Bremen sous la direction de Paavo Järvi au Théâtre des Champs-Élysées, Paris.
La preuve par neuf
À l’issue d’un véritable marathon Beethoven qui aura vu défiler les neuf symphonies sur trois jours et quatre concerts, Paavo Järvi n’aura cessé de démontrer, à la tête d’une Deutsche Kammerphilharmonie Bremen militante et unie comme un seul homme, que le décapage n’est certainement pas la chasse gardée des baroqueux. Une aventure décoiffante.
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Il aurait fallu user d’un pot entier de gel tenue ultime pour ne pas être décoiffé par les Beethoven qui ont déferlé tout le week-end sur un Théâtre des Champs-Élysées de plus en plus rempli au fur et à mesure des séances. Car en à peine trente-six heures, Paavo Järvi, à la tête d’une Deutsche Kammerphilharmonie de Brême tout acquise à sa cause, n’a cessé de flageller la matière d’un corpus symphonique qui peut décidément résister à tous les traitements, pourvu qu’ils soient portés par un minimum de cohérence.
Sur instruments modernes, à l’exception des cuivres et des timbales, et avec un effectif restreint – trois contrebasses –, le chef estonien défend un Beethoven exacerbé, frénétique rythmicien, prestissime, tout en impatience et traversé de violents coups de sang, de cassures foudroyantes, de saillies orchestrales aussi grisantes que judicieusement élaborées.
D’une inextinguible énergie, d’un impitoyable maniement de la cravache, sa lecture est finalement bien plus décapante que les tentatives d’Harnoncourt et de Gardiner, et serait plutôt à rapprocher d’un Immerseel, sans les réflexes typiquement baroques de ce dernier, et avec une manière d’aborder le langage de front, à la schlague, qui n’est pas étrangère à un certain tempérament d’inspiration russe.
Mais jamais n’apparaît dans cette extrémité le sentiment de l’arbitraire, car Järvi ne cesse d’interroger le texte, et chaque nuance, chaque accent ont été scrupuleusement discutés avec les musiciens, dont la parole en répétition trouve paraît-il toujours une oreille attentive.
On pourrait pourtant imaginer à la seule audition que c’est bien là le fruit d’un travail dictatorial, mais c’est sans compter sur les regards malicieux et les larges sourires échangés entre les musiciens et le chef. Car s’il est une force particulière à cette réalisation, c’est un bonheur contagieux de jouer et de partager, même dans une approche aussi jusqu'au-boutiste.
Certes, Järvi burine, avale des kilomètres de partition en un temps record, et sa 9e symphonie aura duré le temps de le dire. Les finales, notamment, ressortissent au concours de Formule 1, de vitalité explosive, de franc défoulement contrôlé, même si parfois les cordes, et notamment les premiers violons, ont à peine le temps de jouer les traits – c’est bien la seule réserve à émettre sur la tenue de la phalange brêmoise, d’une stupéfiante unité et sans concurrence dans son domaine à l’heure actuelle.
Une sécheresse jamais rédhibitoire
Mais la battue, très verticale, sait assouplir ses contours sinon son impitoyable régularité dans des mouvements lents qui respirent malgré leur incessante avancée, grâce notamment aux magnifiques couleurs des vents. Si bien que la sécheresse de cette lecture ne s’avère jamais rédhibitoire, même avec un pupitre de timbales aussi pétaradant.
On peut être gêné par un certain systématisme de l’approche, mais la variété du détail des phrasés, des accents et de la conduite de la forme sonate ne donnent jamais l’impression de tics à répétition – la Pastorale, guère détendue, regorge de bruits de nature proprement inouïs – et l’on découvre des pans entiers de motifs dévolus à la petite harmonie – grâce notamment au jeu pavillon en l’air des clarinettes dans des passages-clés – ainsi que de menus détails dus à l’édition Jonathan Del Mar – violoncelle solo dans le Trio de la 8e et cordes solos dans une variation du Finale de l’Héroïque.
Alors oui, ce Beethoven coup de poing, tranchant comme une lame de rasoir, ne sera certainement pas du goût de tous, car l’exacerbation rythmique aurait tout de même tendance à assécher la portée poétique du langage, notamment dans le magnifique mouvement lent de l’ultime symphonie, que l’on regarde évoluer plus impressionné que vraiment ému ; mais le procédé est-il au fond plus excessif qu’une certaine tradition parfois pachydermique qui s’était emparée de l’œuvre depuis la fin du XIXe siècle ?
Sans vouloir établir un classement bien vain, terminons en citant l’exceptionnelle réussite d’une 2e symphonie de rêve, d’une 4e à couper le souffle, à la Kleiber, d’une 7e qui aura déclenché à juste titre un tonnerre d’applaudissements, et d’une 9e au climax du premier mouvement parmi les plus fracassants et au Finale complètement repensé dans l’optique de la désillusion – avec un chœur idéalement blanc –, que marque assez une marche turque rapidissime, à la joie extérieure et forcée.
Un grand coup de pied au derrière de la tradition en tout cas que cette intégrale fulgurante et révolutionnaire.
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Théâtre des Champs-Élysées, Paris Le 30/03/2009 Yannick MILLON |
| Intégrale des symphonies de Beethoven par la Deutsche Kammerphilharmonie Bremen sous la direction de Paavo Järvi au Théâtre des Champs-Élysées, Paris. | 28 mars – 20h
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Symphonie n° 1 en ut majeur, op. 21
Symphonie n° 2 en ré majeur, op. 36
Symphonie n° 3 en mib majeur, op. 55 « Eroica »
29 mars – 15h
Symphonie n° 4 en sib majeur, op. 60
Symphonie n° 5 en ut mineur, op. 67
29 mars – 20h
Symphonie n° 6 en fa majeur, op. 68 « Pastorale »
Symphonie n° 7 en la majeur, op. 92
30 mars – 20h
Symphonie n° 8 en fa majeur, op. 93
Symphonie n° 9 en ré mineur, op. 125
Christiane Oelze, soprano
Annely Peebo, alto
Michael König, ténor
Matthias Goerne, baryton
Deutsche Kammerchor
Deutsche Kammerphilharmonie Bremen
direction : Paavo Järvi | |
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