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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 novembre 2024 |
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Nouvelle production de Cyrano de Bergerac d’Alfano mise en scène par Petrika Ionesco et sous la direction de Patrick Fournillier au Théâtre du Châtelet, Paris.
Domingo réhabilite Alfano
Nathalie Manfrino (Roxane) et Plácido Domingo (Cyrano)
Absent des scènes parisiennes depuis son Parsifal de 2001 à Bastille, soit depuis beaucoup trop longtemps, Plácido Domingo n’a pas raté sa rentrée : d’une stupéfiante jeunesse vocale, son bouleversant Cyrano de Bergerac triomphe au Théâtre du Châtelet, avec une équipe musicale et dans une production exemplaires.
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Lights, camera, action !
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En passant par la mort
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Créé en italien à l’Opéra de Rome en janvier 1936 sous la direction de Tullio Serafin, avant d’être représenté avec succès à l’Opéra Comique quelques mois plus tard, mais dans la version originale en français voulue par le compositeur, le Cyrano de Bergerac d’Alfano a ensuite sombré dans un oubli total, malgré une furtive réapparition en 1954 à la Scala.
Un purgatoire à la mesure du mépris injustifié dont est victime un compositeur ignoré des musicologues et absent des plus éminents dictionnaires lyriques. Coupable d’avoir pieusement terminé Turandot laissé inachevé par la mort de Puccini, Franco Alfano (1876-1954) n’est pourtant pas un compositeur négligeable : on redécouvrira aussi un jour avec bonheur sa Resurrezione après cette reconnaissance définitive parisienne accordée à Cyrano.
Sans doute avait-on déjà découvert l’ouvrage avec Roberto Alagna au Corum de Montpellier où la production prévue pour le festival de Radio France 2003 (mais heureusement captée en DVD) a finalement été présentée en mars 2006, avant d’être reprise à l’Opéra de Monte-Carlo la saison dernière ! Sans doute Plácido Domingo avait-il lui aussi abordé ce rôle magnifique avec maestria au Met en mai 2005, avant d’y triompher au Covent Garden, à la Scala et à Valence dans la même mise en scène signée Francesca Zambello !
Pourtant, la réhabilitation n’est totale, absolue, indiscutable que cette fois, grâce au sans faute du spectacle exemplaire présenté par le Châtelet. Secondant un Domingo grandiose et souverain, le plateau d’une parfaite homogénéité, la direction idiomatiquement française de Patrick Fournillier et l’habile production de Petrika Ionesco rendent enfin totalement justice à l’œuvre.
Le remarquable livret d’Henri Cain préserve l’essentiel du chef-d’œuvre d’Edmond Rostand et même du texte original en le resserrant. Quant à la partition, totalement atypique et inclassable d’Alfano, elle défie à la fois les modes, les styles et les écoles de son époque par son inspiration nettement plus française – Massenet, Dukas, Ravel et surtout Debussy, en particulier au dernier acte, avec d’évidentes références à Pelléas – que vériste.
On remarque néanmoins au tout début, dans les coulisses de l’Hôtel de Bourgogne, un motif rappelant celui d’Adrienne Lecouvreur de Cilea pour une autre scène d’atmosphère à la Comédie Française… La direction énergique et engagée de Patrick Fournillier à la tête de l’excellent Orchestre symphonique de Navarre a le mérite de mettre en évidence toutes ces filiations musicales comme le raffinement mélodique de nombreux passages : une magnifique scène du balcon et tout le dernier acte totalement inspirés.
Mise en scène tout en bon goût
Petrika Ionesco, dont on est heureux de saluer le retour sur les scènes parisiennes, a conçu des décors parfaitement en situation, ni trop lourds, ni trop épurés, et signe une mise en scène où le grand spectacle – batailles et duels sont réglés avec panache – et l’émotion des scènes intimistes cohabitent avec bonheur. Le bon goût est toujours au rendez-vous. Une élégance que l’on retrouve dans les superbes costumes de Lili Kendaka.
Compliments à tous les interprètes, parfaits dans leur incarnation de Ragueneau (Laurent Alvaro), De Guiche (Marc Labonnette) et Le Bret, où le jeune Christian Helmer se fait tout spécialement remarquer. Dans le rôle ingrat de Christian, le ténor albanais Saimir Pirgu, physique avenant, beaux moyens, aigus faciles, parvient à exister. Nathalie Manfrino, dont la blondeur et le teint de pêche évoquent irrésistiblement Geneviève Casile dans la production anthologique de la Comédie Française où Jean Piat assumait le rôle-titre, s’affirme comme une Roxane idéale. Tout en préservant le style et les qualités indispensables d’une Mélisande, sa voix s’est étoffée.
Elle a aussi mûri son personnage qui s’accorde à l’intériorité bouleversante de Domingo dont le Cyrano douloureux, amer, ironique, rejoint dramatiquement les incarnations de José Ferrer pour le septième art et Daniel Sorano sur nos petits écrans. Depuis le Met et Covent Garden, cet immense artiste a approfondi son interprétation et amélioré une élocution du français plus qu’honorable. On est médusé par la beauté du chant qui a gagné en expressivité et par la fraîcheur du timbre qui a conservé intacts couleurs et nuances.
Après ce triomphal succès, on espère que désormais Jean-Luc Choplin concrétisera la venue au Châtelet de l’éblouissante production madrilène de Luisa Fernanda où Plácido Domingo renoue avec ses racines familiales dans l’univers de la Zarzuela.
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Théatre du Châtelet, Paris Le 22/05/2009 Monique BARICHELLA |
| Nouvelle production de Cyrano de Bergerac d’Alfano mise en scène par Petrika Ionesco et sous la direction de Patrick Fournillier au Théâtre du Châtelet, Paris. | Franco Alfano (1876-1954)
Cyrano de Bergerac, comédie héroïque en quatre actes
Livret d’Heiri Cain, d’après la pièce éponyme d’Edmond Rostand
Chœur du Châtelet
Orchestre symphonique de Navarre
direction : Patrick Fournillier
mise en scène, décors, éclairages : Petrika Ionesco
costumes : Lili Kendaka
Avec :
Plácido Domingo (Cyrano), Nathalie Manfrino (Roxane), Saimir Pirgu (Chrtistian), Doris Lamprecht (La Duègne), Marc Labonnette (De Guiche), Laurent Alvaro (Ragueneau), Christian Helmer (Le Bret). | |
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