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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Reprise de Parsifal de Wagner dans la mise en scène de Stefan Herheim et sous la direction de Daniele Gatti au festival de Bayreuth 2009.
Bayreuth 2009 (1) :
La plume est plus forte que l’épée
À la croisée de l’histoire de l’Allemagne et du festival de Bayreuth, le Parsifal de Stefan Herheim tient toutes ses promesses, sous la baguette fervente de Daniele Gatti et malgré un plateau seulement honnête. De quoi sublimer le message humaniste du dernier chef-d’œuvre wagnérien en replaçant la douceur au centre de la question de la grâce.
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Dans cette production débordante de créativité, Stefan Herheim confronte Parsifal à une triple lecture : historique, anthropologique et ontologique. Historique à travers le prisme du festival de Bayreuth et de la Villa Wahnfried, de l’édification de la première pierre à l’effondrement sous les bombes alliées, en passant par les servitudes envers la couronne de Bavière, l’indifférence de la Grande Guerre, la proximité ambiguë avec le IIIe Reich et la dénazification – les mauvaises langues apprécieront qu’une mise en scène qui questionne le wagnérisme soit programmée l’année du renouvellement de la direction du Festival.
Anthropologique par un regard critique sur la société en général, la cour impériale et son étiquette fleurie, la république nationaliste et son goût pour les martyrs de guerre, le nazisme et ses ténèbres, l’après-guerre et ses manœuvres politiciennes. Ontologique enfin, car il s’agit surtout d’une réflexion sur la grâce et le bonheur de l’humanité, écho parfaitement abouti au Ring de Tankred Dorst à l’affiche en alternance.
Le message christique est ici sublimé, la figure féminine ayant l’ascendant sur des hommes toujours ivres de gloire, de combats, d’exploits. Parsifal, Amfortas, Louis II, Wagner lui-même sont ainsi enfermés dans une logique d’action, de construction, et n’ont accès à la sagesse que par le truchement des femmes, qu’elles soient la mère, l’amante ou la servante.
Le Rédempteur n’est plus celui qui donne sa vie – héroïsme masculin – mais celle qui donne la vie – sacrifice féminin au service de l’avenir. C’est seulement par empathie avec la passion de Kundry que les héros du drame parviennent à éprouver la commisération et la grâce, comme le stigmatisent toute la symbolique de la mater dolorosa incomprise de son fils avide d’aventures, la ressemblance physique d’Amfortas au I – l’apprentissage de la souffrance – et Parsifal au III – la grâce gagnée par la souffrance – avec la servante Kundry, ou encore la Cène ici représentée en accouchement dans la douleur au milieu d’hommes seulement sensibles au nouveau-né.
Cette construction rigoureuse alliée à une efficacité visuelle enracinée dans la psychanalyse permettent à un spectacle extrêmement riche de ne pas s’éparpiller et de prodiguer, le cas échéant avec un humour inattendu, d’intenses moments de poésie – le lit où s’épanchent les personnages, les chevaliers du Graal et Kundry en anges, les enfants et leurs jeux –, d’angoisse – la société aveugle marchant allègrement à la guerre, les croix gammées flottant sur Bayreuth, d’ailleurs saluées par quelques huées – ou d’une grâce humaniste – la question saisissante posée in fine par l’immense miroir reflétant la salle éclairée : et nous tous, public, quelle société incarnons-nous, quel monde proposons-nous, quelle grâce espérons-nous ?
Si le miracle opère, c’est aussi que la partie musicale est plutôt bien défendue. De Kundry, Mihoko Fujimura n’a ni le feu sacré ni le venin, mais une attention au mot qui lui permet de camper un personnage vulnérable et dans la douceur, tandis que Christopher Ventris alterne – avec quelques vilains sons ternissant un ensemble vaillant et élégiaque – un Parsifal très spontané au I, dans l’attendrissement au II, mûr et presque ascète au III.
Detlef Roth brillerait par sa musicalité, n’étaient les accents d’Amfortas où sa voix le cantonne à une recherche de volume d’une inexpressivité totale. Thomas Jesatko déclame Klingsor avec vice mais sans charme, moins double damné du roi que de son fidèle Gurnemanz, ici Kwangchul Youn, tout en grisaille besogneuse, sans épaisseur, tout juste honnête et pourtant copieusement applaudi.
N’importe, Daniele Gatti emporte tout son petit monde dans des étendues contemplatives de textures soignées et de tempi en apesanteur – en resserrant toutefois d’un petit quart d’heure ses célestes lenteurs de l’année passée –, avec juste assez de vie pour le jardin de Klingsor, et de mystère pour la portée universelle de l’œuvre et de la production.
Lien :
Critique de la première du spectacle en 2008
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Festspielhaus, Bayreuth Le 05/08/2009 Thomas COUBRONNE |
| Reprise de Parsifal de Wagner dans la mise en scène de Stefan Herheim et sous la direction de Daniele Gatti au festival de Bayreuth 2009. | Richard Wagner (1813-1883)
Parsifal, festival scénique sacré en trois actes (1882)
Livret du compositeur
Chor und Orchester der Bayreuther Festspiele
direction : Daniele Gatti
mise en scène : Stefan Herheim
décors : Heike Scheele
costumes : Gesine Völlm
vidéo : Momme Hinrichs & Torge Møller
préparation des chœurs : Eberhard Friedrich
Avec :
Detlef Roth (Amfortas), Diógenes Randes (Titurel), Kwangchul Youn (Gurnemanz), Christopher Ventris (Parsifal), Thomas Jesatko (Klingsor), Mihoko Fujimura (Kundry), Arnold Bezuyen (1. Gralsritter), Friedemann Röhlig (2. Gralsritter), Julia Borchert (1. Knappe), Ulrike Helzel (2. Knappe), Clemens Bieber (3. Knappe), Timothy Oliver (4. Knappe), Julia Borchert, Martina Rüping, Carola Gruber, Christiane Kohl, Jutta Maria Böhnert, Ulrike Helzel (Klingsors Zaubermädchen), Simone Schröder (Altsolo). | |
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