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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Così fan tutte de Mozart mise en scène par Claus Guth et sous la direction d’Adam Fischer au festival de Salzbourg 2009.
Salzbourg 2009 (5) :
Ainsi font, font, font…
Bo Skovhus (Don Alfonso)
Fin de trilogie Mozart-Da Ponte en apothéose pour Claus Guth, qui réitère le coup de maître des Noces et de Don Giovanni, en créant de surcroît des passerelles entre les trois chefs-d’œuvre. Un travail aussi brillant intellectuellement que grisant de pur théâtre, porté par une bonne équipe de jeunes chanteurs, un orchestre en état de grâce et une direction seulement honnête.
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Saison après saison, ouvrage après ouvrage, Claus Guth s’avère décidément l’un des metteurs en scène les plus intelligents du moment, un des happy few qui parviennent à maintenir une discipline et un propos fascinants – comment oublier notamment son Vaisseau fantôme de Bayreuth ? –, en creusant la donnée psychologique des livrets avec un sens de l’actualisation jamais réducteur.
On sait son goût pour la psychanalyse, qui aboutit ici comme ailleurs à un spectacle majeur sur la désillusion, plus manifeste encore que par l’intermédiaire de la diffusion Internet de la première. On pourrait d’ailleurs regarder ce nouveau Così comme un simple spectacle très tendance, débordant de rythme, sans chercher à creuser plus profond : les couples y sont les étudiants au sortir de l’adolescence d’une jeunesse dorée de campus américain, évoluant dans un spacieux loft du dernier design, et Despina une boniche révoltée, complètement déjantée, qui envoie valser les viennoiseries de ces demoiselles, joue à la lubrique et prendra in fine ses cliques et ses claques en laissant les deux couples à leurs tergiversations.
Mais l’ange déchu Don Alfonso, qui a sans doute beaucoup aimé et beaucoup souffert – un écho au Cherubim des Noces mais aussi au Comte alors tenu par le même Bo Skovhus –, hypnotise les personnages parfois récalcitrants à grand renfort de gestes chorégraphiques et d’envoûtements vaudous, tandis que l’intrusion des Albanais est vécue comme une scène d’intimidation à la faveur d’une panne de courant programmée.
On est pris d’empathie pour ces personnages vivant l’expérience amère qui leur retirera à jamais la candeur de la jeunesse. Au moment de l’échange de partenaire, le mur du loft disparaît dans les cintres pour révéler la forêt de sapins de Don Giovanni, irruption de l’inconscient dans le quotidien, saut vers l’inconnu, tentation des forces obscures, abandon de la raison au profit du plaisir dangereux ; et au lever de rideau du II, la forêt aura définitivement contaminé l’espace du salon : un cœur fissuré ne se répare pas.
Et si au final, on a plutôt l’impression que les nouveaux couples prendraient le pas sur les anciens, on sent surtout le trouble immense qui envahit les esprits, prélude sans doute à de longues heures sur le divan du docteur Freud.
Le plateau, bien équilibré, ne restera sans doute pas dans l’Histoire, mais fonctionne à merveille dans la mise en scène. Remplaçant le forfait d’une Miah Persson plus immédiatement adolescente, Malin Hartelius fait bien plus qu’un sauvetage, dispensant en Fiordiligi la fragilité lumineuse d’une matière satinée et un chant aristocratique comme on n’en entend plus. Et si la voix paraît parfois minuscule, le soin de la ligne, le soutien, la gestion des registres et la pureté des intentions en font un trésor de bel canto.
Nettement plus en chair vocale, la Dorabella d’Isabel Leonard affiche une belle santé, une ardeur et une homogénéité que laissait moins présager la captation de la première. Johannes Weisser – le Don Giovanni leggierissimo de René Jacobs –, qui prend la suite du Guglielmo un peu rustre de Florian Boesch, affiche une typologie vocale indéfinissable, d’émission étrangement ténorisante et au fond assez peu séduisante.
Le Ferrando de Topi Lehtipuu attise autant les satisfactions que les regrets : de timbre jeune et franc, de couleur d’authentique tenore di grazia à la Simoneau, il accuse quelques limites dans un aigu un peu nasal et parfois dérobé. Surtout, il lui reste tout à apprendre du legato, négligence technique qui coûte cher dans la musique impitoyable de Mozart.
Sporadiquement dopée à l’hélium, la Despina de Patricia Petibon fait son habituel numéro de fofolle hystérique, avec le bel impact d’une émission de moins en moins légère quoique manquant de grain dans le médium, face au Don Alfonso usant au mieux d’un matériau usé mais d’une superbe intacte de Bo Skovhus, dont on regrettera davantage l’italien parfois appuyé.
Hors formations d’époque, le Philharmonique de Vienne reste l’instrument mozartien rêvé, d’une qualité de soyeux des cordes – remplacez le vilain premier violon du soir de la première, qui gâtait l’ensemble du pupitre et sera malheureusement sur le DVD, et la formation retrouve toute sa palette –, d’une finition dans les bois qui trouvent dans la direction d’Adam Fischer, routinière en diable mais au moins attentive à une sonorité quasi maçonnique – la couleur des cors, des clarinettes, l’impalpable des flûtes – le relais pour étayer le traumatisme vécu en scène par les marionnettes de l’amour… Trois petits tours et puis s’en vont.
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