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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Concert du Philharmonia Orchestra sous la direction d’Esa-Pekka Salonen au festival de Lucerne 2009.
Lucerne 2009 (2) :
Splendeurs et misères d’un puritanisme débridé
Après l’exceptionnelle 4e symphonie de Mahler par Abbado et l’Orchestre du festival de Lucerne, place à la génération suivante avec Salonen dirigeant la 6e à la tête du Philharmonia. Une prestation aussi géniale en son genre qu’un ratage anti-viennois, heureusement précédée d’une magnifique création de Saariaho et d’un efficace Webern.
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Si le festival de Lucerne accueille les plus grandes phalanges internationales, il est aussi, en marge des concerts symphoniques, un lieu privilégié pour la musique contemporaine. La rencontre des deux n’est cependant pas impossible comme le montre cette création suisse de la nouvelle pièce de Kaija Saariaho, deux jours après sa création mondiale à Helsinki.
Salonen défend du reste à merveille cette pièce, jouant de la relation mystique entre l’aspect éthéré et immatériel de la lumière qui semble chercher à prendre corps dans la matière. Telle est sans doute la raison du titre de Lumière et pesanteur où des nappes immobiles rendent un temps suspendu. D’une succession de verticalité, le chef finlandais tire une grande transparence tout en restituant la hiérarchie naturelle des différents éléments sonores.
Im Sommerwind de Webern sonne avec efficacité, Salonen rendant le côté vapeurs wagnériennes dès les premières mesures. Il privilégie du reste la même transparence avec un son relativement fin dans sa texture, à l’opposé de ce qu’il fera dans Mahler. Certes, il en ressort un aspect décousu, essentiellement dû à l’œuvre elle-même, mais le travail sur les différentes atmosphères est bien rendu.
Arrive alors à la fois le plus impressionnant et le plus contestable. On se souvient d’une Symphonie résurrection en 2004 au Châtelet manquant de vécu. Cette fois, la Tragique semble s’inaugurer sous de meilleurs auspices. Par une direction impétueuse et cursive, Salonen impose une 6e symphonie à la tragédie implacable, d’emblée mise en évidence par une pulsation urgente et servie par une conception orchestrale proprement débridée.
De surcroît, le Philharmonia sidère par sa performance, encore un cran au-dessus de celle du Lucerne Festival Orchestra. Aucune faiblesse ne vient émailler le matériau à la fois rond, puissant et, donnée nouvelle s’agissant de la formation britannique, véritablement brillant. Le métier de Salonen fait merveille pour ce qui est de rendre toutes les données de l’écriture et du style orchestral de Mahler : timbre caractérisé, souplesse et puissance, grand sens des équilibres sonores avec en prime tout le savoir-faire et l’originalité de Salonen dans la musique contemporaine au niveau du timbre, sans jamais entamer l’intégrité de l’orchestre mahlérien, ni sombrer dans l’artifice.
Refus de regarder dans la chambre Ă coucher
Si cette manière d’aborder le temps dramatique est totalement immanente à la 6e et semble tout à fait pertinente, son côté systématique entraîne cependant de tristes ravages. Car, en fait de contraste, Salonen ne propose rien d’autre et se livre surtout à un véritable travail de sape du phrasé viennois, évacuant tout lyrisme et toute sensualité. La musique de Mahler y perd tout en terme d’affect. Pire, cette vision apparaît en contradiction flagrante avec le texte, car privilégiant des phrasés droits en ne tenant absolument pas compte des progressions typiquement viennoises des différentes anacrouses qui permettent de désirer l’accent qui a tant tardé.
Si Harnoncourt a toujours refusé d’aborder Mahler par peur de « regarder dans la chambre à coucher du compositeur viennois », Salonen démontre qu’interpréter cette musique en occultant cet aspect, sans aller jusqu’à la comparaison un peu osée d’Harnoncourt, annihile tout affect chez l’auditeur. Nulle respiration viennoise et nulle sensualité, cette vision débridée pèche finalement par excès de puritanisme.
Le souffle du premier mouvement passé et le système démonté, la structure s’effondre comme un château de cartes, pour finalement ne laisser à l’auditeur de cette interprétation géniale en son genre qu’une paradoxale impression de magnifique extériorité. Abbado nous ayant laissé dans la 4e la leçon que l’Esprit a toujours la force de l’évidence, le critique, entre ce curieux mélange d’exception et de ratage, optera sans hésiter pour la seconde solution.
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Konzertsaal, Kultur- und Kongresszentrum, Luzern Le 24/08/2009 Benjamin GRENARD |
| Concert du Philharmonia Orchestra sous la direction d’Esa-Pekka Salonen au festival de Lucerne 2009. | Kaija Saariaho (*1952)
Lumière et pesanteur (2009)
Création suisse
Anton Webern (1883-1945)
Im Sommerwind (1904)
Idylle pour grand orchestre d’après un poème de Bruno Wille
Gustav Mahler (1860-1911)
Symphonie n° 6 en la mineur « Tragique » (1903-1905, rev. 1906)
Philharmonia Orchestra
direction : Esa-Pekka Salonen | |
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