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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Concert du Chicago Symphony Orchestra sous la direction de Bernard Haitink au festival de Lucerne 2009.
Lucerne 2009 (5) :
L’ombre de la mort
Une édition après une mémorable 4e symphonie, Bernard Haitink dirige un nouveau concert Mozart-Chostakovitch avec le Chicago Symphony Orchestra au festival de Lucerne. Si la Jupiter de Mozart ne restera pas dans les annales, l’interprétation de la 15e symphonie de Chostakovitch s’impose avec une sculpturale et noire intensité.
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Il s’est écoulé maintenant près de quarante-cinq ans depuis le premier concert, en 1966, de Bernard Haitink au festival de Lucerne. Ayant fêté ses 80 ans au mois de mars dernier, l’illustre chef occupe naturellement une place prédominante dans le festival et appartient à toute une époque symbolique de l’histoire de l’interprétation.
Dans cette optique, si Haitink a encore le courage de défendre Mozart après la révolution des baroqueux, reste que sans être indigne, son interprétation de la Jupiter ne recèle rien de particulièrement enthousiasmant. Certes, on entend clairement une phalange exceptionnelle, mais la couleur de l’orchestre, malgré un effectif de cordes relativement modéré, reste trop mate et témoigne d’un lissage sensiblement romantisant : cordes un peu épaisses, timbales en simple soutien et intégrées à l’orchestre, bois jamais mis en avant. La texture de l’ensemble demeure relativement brouillonne, monolithique, ce qui est d’autant moins pardonnable dans l’acoustique exceptionnelle du KKL.
En revanche, la seconde partie se situe dans le droit fil de la 4e de Chostakovitch de l’été dernier, cette fois dans une 15e symphonie totalement aboutie, d’une sculpturale et noire intensité. Les timbres séduisent par leur couleur, la texture de l’orchestre apparaît d’une plénitude nourrissante, dans les tutti comme dans le moindre solo. Le son prend une place idéale dans l’espace. En résulte une véritable poésie sonore due à une plastique orchestrale des plus achevées. Certes, on distingue quelques imperfections, notamment au niveau des traits de virtuosité des cuivres, mais l’ensemble sonne avec un épanouissement incomparable.
Plus encore que dans l’an passé, Haitink replace la partition sur le terrain du sens. Figures grotesques du premier mouvement et du Scherzo, noirceur solaire et froideur marmoréenne du chorale de cuivres dans le deuxième mouvement, culmination violente dans les tutti et immobilisme mystico-sceptique dans la coda du finale, l’ombre de la mort plane indubitablement sur la symphonie entière.
Mais surtout, Haitink gère la conduite du discours et son rythme intérieur avec une clarté quasi rhétorique. Aux impressions d’enfance grotesques et vivaces du mouvement initial succède un Adagio mortuaire qui a quasiment tout perdu de sa pulsation vitale, dressant le portrait d’un vieillard qui n’a plus ni la force de vivre ni l’énergie suffisante pour franchir les portes imposantes de la mort qui s’érigent pourtant inexorablement devant lui.
Le héros de cette symphonie paraît coincé dans un Néant existentiel dans lequel l’énergie de la mort et de la vie elles-mêmes n’ont plus aucune prise. Seule la dernière note, curieusement lumineuse, met de manière surprenante un terme à ce destin fatidique. Un grand moment de musique et aussi une plongée dans la Métaphysique du vide.
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Konzertsaal, Kultur- und Kongresszentrum, Luzern Le 13/09/2009 Benjamin GRENARD |
| Concert du Chicago Symphony Orchestra sous la direction de Bernard Haitink au festival de Lucerne 2009. | Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Symphonie n° 41 en ut majeur KV 551, « Jupiter » (1788)
Dimitri Chostakovitch (1906-1975)
Symphonie n° 15 en la majeur op. 141 (1971)
Chicago Symphony Orchestra
direction : Bernard Haitink | |
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