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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Entrée au répertoire de l’Opéra de Paris de la Ville morte de Korngold dans la mise en scène de Willy Decker et sous la direction de Pinchas Steinberg.
Un cauchemar de rĂŞve
Carton plein pour l’entrée au répertoire de la Grande Boutique de la Ville morte de Korngold. Puissance du visuel, du jeu d’acteurs, la mise en scène de Decker n’a pas pris une ride. Mieux, grâce à une direction tout en refus de l’effet et à une distribution de premier plan, le spectacle apparaît plus fort encore qu’à sa création à Salzbourg.
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Comme son prédécesseur, Nicolas Joel a la fâcheuse tendance d’estampiller « nouvelle production » des spectacles déjà largement étrennés à l’étranger. Ainsi, la Ville morte proposée pour son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris est une énième reprise délocalisée du spectacle conçu il y a cinq ans, à l’époque de Peter Ruzicka, pour le festival de Salzbourg (en coproduction avec l’Opéra de Vienne).
Forte de son succès, cette Tote Stadt a d’ailleurs voyagé à Barcelone, Amsterdam, San Francisco et Londres avant de gagner le grand vaisseau de la Bastille. On peut donc se demander si ce transfert permanent ne s’est pas opéré au détriment de la magie initiale de la production. Loin s’en faut : on aurait plutôt gagné en intensité, et notamment grâce au chant.
Dans la forme, la mise en scène de Willy Decker, qui a dû faire face à une augmentation significative des dimensions du cadre de scène entre le défunt Kleines Festspielhaus et la Bastille, a peut-être perdu un rien de son ambiance de claustration, de huis-clos, pour offrir ce format panavision qui permet à l’univers du rêve de s’épancher dans un visuel de toute beauté, d’une qualité d’éclairage quasi cinématographique, et d’une perfection technique dans les changements à vue que n’avait pas à ce point l’original.
Quant au fond, il restitue toujours à merveille, et sans trahir le mot à mot du livret, l’atmosphère d’impossible deuil, d’emprise de Marie sur Paul par-delà la mort, et les pathétiques efforts du veuf pour sanctuariser toujours plus une chambre devenue aseptisée. Et la révélation prématurée de l’endormissement atténue magistralement la frontière entre le réel et le songe, avec une dimension psychanalytique dans les visions de cauchemar – une Marietta chauve trouvant la mort par la chevelure profanée de Marie.
Mais c’est sans doute au niveau musical que cette reprise se place encore un cran au-dessus des représentations salzbourgeoises. Succédant à un Torsten Kerl curieusement engoncé, Robert Dean Smith a déjà par nature ce physique de petit bourgeois sensible, fragile, de ceux que le destin n’épargne guère. Mais il est également de la race des grands lyriques qui ne poussent jamais un son, et chantent constamment avec leur voix, sans forcer leurs moyens.
Et si ce Paul n’a pas un volume renversant ou la projection bétonnée d’un vrai Heldentenor, on préfère cette prestation humaine, sur le fil du rasoir, tout en clarté incendiaire, en ouverture des voyelles, où les nuances et la mezza voce trouvent légitimement leur place, où une finesse aristocratique – des Sie ist ! de la plus belle radiance – rachète au III une fatigue passagère mais compréhensible au vu d’une écriture vocale idéaliste.
La supériorité de Ricarda Merbeth sur le souvenir d’Angela Denoke n’est pas aussi manifeste, en raison d’un jeu théâtral moins libre et mobile, mais surtout d’une moindre caractérisation du timbre. Avec ses inégalités, Denoke avait ce médium qui ne disparaît pas dans la vélocité du débit, et une vraie couleur crépusculaire et ambiguë.
Merbeth, éblouissante de facilité dans le troisième registre, de résistance aux assauts sonores et à une écriture pour le moins tendue, n’a pas ce legato, ce timbre d’exception, ni seulement ce soin dans l’émission qui accouchent des plus beaux Glück, das mir verblieb. Mais Marietta ne saurait se limiter à la seule réussite de cet air-bijou, et la soprano tient admirablement le rôle dans son entièreté.
Coiffé de la double casquette Frank-Fritz comme naguère Bo Skovhus, Stéphane Degout donne une leçon de chant dans un Lied de Pierrot souverain, divinement phrasé, à l’impeccable modelé de nuances, à la qualité de ligne jamais prise en défaut, même si l’on peut y préférer dans l’absolu une voix moins sombrée. Enfin, Doris Lamprecht offre la seule Brigitta qu’on ait entendu exister, par sa voix, franche et forte, vraiment soucieuse de son maître au I, quasi suppliciée dans l’épisode des béguines au II, en un mot par son implication.
Dans la fosse, on sait gré à Pinchas Steinberg de porter l’Orchestre de l’Opéra aux sommets, dans une lecture évitant toute complaisance et tout sirop vériste au profit d’une vraie avancée théâtrale, d’une trajectoire contenue, montant en tension progressivement pour aboutir à des cataclysmes qui ne contredisent en rien un soin constant à ne pas matraquer le plateau.
Opéra Bastille, jusqu’au 27 octobre.
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Opéra Bastille, Paris Le 03/10/2009 Yannick MILLON |
| Entrée au répertoire de l’Opéra de Paris de la Ville morte de Korngold dans la mise en scène de Willy Decker et sous la direction de Pinchas Steinberg. | Erich Wolfgang Korngold (1897-1957)
Die tote Stadt, opéra en trois actes (1920)
Livret de Paul Schott d’après la pièce le Mirage de Georges Rodenbach, adaptée du roman Bruges la morte du même auteur
Coproduction du festival de Salzbourg et de l’Opéra de Vienne
Maîtrise des Hauts-de-Seine/Chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris
Chœur et Orchestre de l’Opéra national de Paris
direction : Pinchas Steinberg
mise en scène : Willy Decker
décors et costumes : Wolfgang Gussmann
Ă©clairages : Wolfgang Goebbel
préparation des chœurs : Patrick Marie Aubert
Avec :
Robert Dean Smith (Paul), Ricarda Merbeth (Marietta), Stéphane Degout (Frank / Fritz), Doris Lamprecht (Brigitta), Elisa Cenni (Juliette), Letitia Singleton (Lucienne), Alain Gabriel (Victorin), Alexander Kravets (Graf Albert). | |
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