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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production du Balcon de Peter Eötvös mise en scène par Gerd Heinz et sous la direction de Kwamé Ryan au Grand Théâtre de Bordeaux.
Un balcon pop et décapant
Après une création controversée au festival d’Aix-en-Provence il y a déjà sept ans, revoici enrichi, retravaillé, le Balcon de Peter Eötvös sur le texte de Jean Genet au Grand Théâtre de Bordeaux, dans une mise en scène à l’opposé de la grisaille de Stanislas Nordey, et avec d’assez nombreuses retouches sur la partition même.
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Quel changement ! À la grisaille et à la noirceur du metteur en scène Stanislas Nordey au festival d’Aix-en-Provence, la production bordelaise, après un passage par Fribourg, répond dans une sorte d’éclat de rire nerveux et satirique. La musique d’abord : le compositeur Peter Eötvös n’était pas entièrement satisfait de la production aixoise qu’il avait lui-même dirigée. Depuis, il a changé l’ordre des scènes et a enrichi l’effectif musical d’un orgue Hammond. Il a apporté ainsi curieusement de l’acidité, de l’homogénéité et de la pugnacité : voilà un opéra qui a pris musicalement des couleurs.
La mise en scène très pop de Gerd Heinz, directeur de l’opéra de Fribourg, tire l’œuvre vers le music hall. Et voilà des chanteurs d’opéra la jambe en l’air comme aux Folies Bergère. Ils s’en amusent et cela les dynamise. Le décor est posé sur une tournette qui n’en finit pas de tourner : le rouet de la vie.
Colorée avec un brin de surréalisme, sans doute cette version colle-t-elle bien davantage au texte provocateur et irrévérencieux de Genet. Le non-dit psychanalytique, la révolte des obscurs, la morgue des nantis, l’épiphanie diabolique du sexe, tout est clair en quelques mots, en quelques notes. Les scènes scabreuses sont seulement suggérées, de quoi rassurer le public bourgeois. Subjuguant.
Tous les compositeurs d’opéras, de Mozart à Verdi en passant par Gluck, Rossini et Strauss, ont repatiné leurs partitions après les premières représentations. Eötvös est de ceux-là , prêt à considérer chacune de ses œuvres comme perfectible. Et il y réussit, lui l’un des compositeurs contemporains les plus joués. L’an prochain, neuf de ses opéras seront représentés en Europe. Héritier de Bartók, il est avec Kurtag l’un des musiciens les plus inventifs de la Vieille Europe.
Récompensé de tous côtés, notamment par le prix de composition de Monaco, il a également reçu l’an passé le prix de la Presse Musicale Internationale (PMI). Ces honneurs ne le troublent guère. L’art d’Eötvös s’est épanoui au sein de l’IRCAM et auprès de Pierre Boulez. L’originalité du Balcon est d’emprunter à tous les genres de musique de Stravinski à Kurt Weill, du jazz au swing et à la chanson française, celle de Brel et de Montand.
Tout cela crée une œuvre singulière dont la puissance émotionnelle est au niveau du texte. Il excelle, par exemple avec cet orgue Hammond souvent utilisé par les musiciens de jazz, notamment Rhoda Scott : il donne à la fois des couleurs et du vibrato. Les interprètes ne sont pas des vedettes mais d’excellents musiciens devenus acteurs. Ils s’en amusent. Au sommet culmine la reine, Maria Riccarda Wesseling, mezzo bien connue des Parisiens depuis Iphigénie en Tauride de Gluck avec Marc Minkowski au Palais Garnier, et l’irrésistible baryton Armand Arapian.
Deux musiciens de l’Orchestre de Bordeaux-Aquitaine sont sur scène et autant acteurs portant des abat-jours sur le crâne. Dans la fosse, l’orchestre est dirigé par Kwamé Ryan, originaire de Trinidad, qui, après des études en Angleterre, est devenu spécialiste de la musique d’aujourd’hui. On lui doit par exemple la création de l’Espace dernier de Pintscher à l’Opéra Bastille en janvier 2005.
Kwamé Ryan a été un élève d’Eötvös auquel il voue un culte : normal semble-t-il qu’entre un compositeur et un chef de connivence, le meilleur prend son envol.
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