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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Reprise des Dialogues des Carmélites de Poulenc mis en scène par Nicolas Joel, sous la direction de Patrick Davin à la Halle aux grains, Toulouse.
Un office pour les martyrs
Après un nouveau Simon Boccanegra, le Capitole de Toulouse présentait dans sa saison hors les murs une reprise des excellents Dialogues des Carmélites mis en scène par Nicolas Joel. Un spectacle sobre, en retenue, à la très belle scénographie, défendu par une bonne équipe vocale et la direction monacale de Patrick Davin.
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On n’a jamais attendu de l’ancien directeur du Capitole de Toulouse Nicolas Joel un travail révolutionnaire, mais force est de reconnaître que ces Carmélites avec l’intériorité et la sobriété d’un office pour les martyrs offrent une vraie parenthèse de réflexion et de contemplation dans un monde de surabondance et d’agitation, à travers l’évocation du calvaire des seize carmélites de Compiègne guillotinées en 1794.
Le dénuement de la scénographie, d’abord, offre en soi un espace idéal aux processions, qui peuvent se faire autour de la fosse et même au milieu des spectateurs, dans la configuration particulière en hexagone de la Halle aux grains. Le décor unique, qui évoque à la fois le buffet d’orgue, l’édifice religieux par son ogive centrale et le couperet fatidique par ses lames latérales, prend remarquablement la lumière, et peut ainsi varier de l’austère au familier.
En marge d’une direction d’acteurs classique mais crédible, quelques trouvailles ponctuent le spectacle, comme l’éclairage rasant lors de l’audition de Blanche par la Première Prieure, repris au moment de la visite de son frère afin de montrer à quel point la dernière venue du couvent a fait sienne la détermination faillible de son aînée. Et pour cette reprise, une finition toujours de mise, avec des coups de guillotine qui ébranlent littéralement la salle.
En dehors des considérations purement vocales, l’exigence numéro un des Dialogues des Carmélites est une diction française limpide comme de l’eau de roche, « un peu à la bonne franquette », d’une certaine manière datée mais reflet d’une époque où les voix grossies et mondialisées n’étaient pas de mise.
Coïncidence, mais on s’en serait douté, les rôles les moins bien tenus sont aussi les moins intelligibles : la Mère Marie de Susanne Resmark, qui se meut avec un pas de demi de mêlée, sombre dans la caricature opératique de la mégère, la Nouvelle Prieure d’Isabelle Kabatu offre une typologie et des envolées à l’italienne hors de propos, tout en souffrant d’un médium un peu éteint.
À l’inverse, la Blanche de la Force de Sophie Marin-Degor, que les amateurs de grandes voix trouveront sans doute un peu frêle, et dont on regrettera un souffle court qui lui fait morceler la phrase, est selon nous proche de l’idéal, par sa clarté fragile, par ce timbre dont la fêlure rend justice aux angoisses du personnage, par son mélange de courage et de propension à la terreur.
De même, on est conquis par la Constance radieuse d’Anne-Catherine Gillet, qui n’est que rai de lumière et joie de vivre, bonté et grâce. Plus pâteuse de diction, la Première Prieure de Sylvie Brunet, sans en rajouter dans les râles d’agonie, touche par son ambivalence entre maintien dû à sa charge et profonde humanité, et prodigue accents déchirants, nuances nourries et aigus pleins de détresse.
Si l’on peut déplorer qu’il ne différencie pas plus ses voyelles, Nicolas Cavallier n’en reste pas moins un Marquis d’une belle morgue, tandis que Gilles Ragon, dont l’émission s’est en quelques années teintée d’héroïsme, campe un Chevalier passionné, dont l’ardeur et la clarté instillent du tragique au milieu de la retenue ambiante. Enfin, parmi les rôles secondaires, l’Aumônier de Léonard Pezzino est comme toujours un modèle de déclamation distinguée, qui fait vraiment honneur à l’école de chant française.
Dans la fosse, Patrick Davin dirige vif, chambriste, se refusant à tout épanchement, exaltant au contraire une structure en collage, ne cherchant jamais à unifier la narration fragmentée de l’intrigue. Le chef belge privilégie une lumière crue et des plans sonores sous contrôle qui réfrènent la nuance et le tranchant. On gagne à cette forme de pénitence des alliages nouveaux et détaillés – malgré quelques défaillances des cuivres – et un réel climat de musique française post-1950, au détriment du sentiment et de l’immédiateté théâtrale.
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Halle aux Grains, Toulouse Le 29/11/2009 Yannick MILLON |
| Reprise des Dialogues des Carmélites de Poulenc mis en scène par Nicolas Joel, sous la direction de Patrick Davin à la Halle aux grains, Toulouse. | Francis Poulenc (1899-1963)
Dialogues des Carmélites, opéra en trois actes et douze tableaux (1957)
Texte de la pièce de Georges Bernanos, inspirée par une nouvelle de Gertrud Le Fort
Chœur et Orchestre du Capitole de Toulouse
direction : Patrick Davin
mise en scène : Nicolas Joel
décor et costumes : Hubert Monloup
Ă©clairages : Alain Vincent
préparation des chœurs : Allain Vincent
Avec :
Nicolas Cavallier (le Marquis de la Force), Sophie Marin-Degor (Blanche), Gilles Ragon (le Chevalier de la Force), Léonard Pezzino (l’Aumônier du Carmel), Olivier Grand (le Geôlier), Sylvie Brunet (Madame de Croissy), Isabelle Kabatu (Madame Lidoine), Susanne Resmark (Mère Marie de l’Incarnation), Anne-Catherine Gillet (Sœur Constance de Saint-Denis), Qiu Lin Zhang (Mère Jeanne de l’Enfant Jésus), Catherine Alcoverro (Sœur Mathilde), Daniel Djambazian (Un officier), Christophe Mortagne (Premier commissaire), Paul Kong (Deuxième commissaire), Bruno Vincent (Thierry), Yves Boudier (Monsieur Javelinot). | |
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