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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Reprise de Così fan tutte de Mozart dans la mise en scène de David McVicar, sous la direction d’Ottavio Dantone à l’Opéra national du Rhin.
Rien que pour les yeux
Reprise espérée que celle du Così fan tutte signé David McVicar, et créé en décembre 2005 à l’Opéra du Rhin. Si l’exécution musicale n’est toujours pas à la hauteur de la réalisation scénique, la faute en incombe cette fois à la direction d’Ottavio Dantone, qui se perd dans les détails avant que d’assurer la coordination nécessaire entre fosse et plateau.
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Le décor de Yannis Thavoris, d’abord et avant tout, est à couper le souffle, superbement éclairé, entre ombres complices et touffeurs nocturnes, par Paule Constable. Des toiles vertigineuses de Caspar David Friedrich aux dentelles de James Ivory, David McVicar inscrit pertinemment Così fan tutte dans un XIXe siècle au seuil de la décadence, prisonnier du puritanisme et corseté, parfois jusqu’au sang, dans les faux-semblants.
Plus encore, il l’anime avec un soin certes quasi cinématographique du détail, mais surtout une subtilité dans la dynamique des couples qui prend corps sur la mise en question d’une donnée dramatique considérée comme acquise : où Da Ponte a-t-il écrit que les amants devaient permuter dès le premier assaut des Albanais ?
Au I donc, Ferrando et Guglielmo travestis n’ont respectivement d’yeux que pour Dorabella et Fiordiligi, et cette configuration même suffirait à prouver l’inconstance de ces dernières. Ce n’est qu’au II que l’infidélité, le jeu deviennent doubles, par un choix féminin. Chacune attirée par le chacun qui lui ressemble le plus remet ainsi de l’ordre dans l’antagonisme des paires initiales. Pour reprendre les mots d’André Tubeuf : « Que chacun sache non pas qui il aime, mais qui il est » au miroir de l’autre, c’est-à -dire son double masculin.
La confusion, les raccourcis, les mièvreries de bien des mises en scène proviennent de ce que Mozart brouille les pistes par l’entrelacs mimétique des lignes. Au I, Ferrando-Guglielmo déguisés, et qui ne font encore qu’un, s’adressent indifféremment à Fiordiligi-Dorabella, parce qu’elles aussi ne font toujours qu’un : le trio qui ouvre la première scène est, dans sa fonction, exactement parallèle au duo qui ouvre la deuxième. Et tout Così en découle. Plus que par la résolution des couples, c’est donc par la réunion des voix que le finale rétablit un ordre initial cependant bouleversé.
Si la démonstration peut ici paraître absconse, elle n’est à l’épreuve du plateau jamais une fin – c’est-à -dire pure quête de sens, malgré l’image ultime, et inutile, des rochers éclatés –, mais le moyen de nourrir toujours un théâtre de l’ambiguïté.
Malheureusement, et comme en 2005, l’exécution musicale demeure en deçà de cette maestria scénique. Parce que ni Don Alfonso ni Despina ne sont à la hauteur du jeu qu’ils sont censés mener. Lui – Peter Savidge –, en voix de vétéran mais sans cette prestance désabusée et cependant ludique de Don Giovanni sur le retour que lui prêtent habituellement les barytons usés, comme d’emblée las d’être en scène, indifférent aux mots autant qu’aux notes, en somme transparent. Elle – Hendrickje Van Kerckhove –, d’une fraîcheur en tête d’épingle, sans relief dans ses travestissements bien qu’agile en scène.
De l’allure, ces demoiselles de Ferrare en ont, de la grâce même et des couleurs. La Dorabella de Stephanie Houtzeel surtout, impersonnelle de timbre sans doute, mais de manières vocales et musicales assumées et enjouées, portées avec suffisamment d’ampleur pour ne pas tomber dans la caricature d’un caractère qui, ailleurs et souvent, n’a pu y échapper.
Évidente Donna Anna avec l’ensemble Opera Fuoco en janvier 2008, Jacquelyn Wagner déçoit en revanche en Fiordiligi, sur les écarts de laquelle son frémissement se dilate, son aigu se durcit, sa dynamique s’assèche, sa ligne se rompt et son intonation fluctue. Le grain, le rayonnement du registre supérieur n’en sont pas moins d’une vraie mozartienne.
Par la clarté, la fluidité, le legato, l’élégance du cantabile, le Ferrando de Sébastien Droy ressuscite un certain âge d’or de l’émotion née de la seule beauté du chant, nourrissant par là même un contraste explosif avec le Guglielmo tout en énergie, accents et soubresauts d’émission de Johannes Weisser, qui présente ici la face bouffe du Don Giovanni déroutant de jeunesse et d’indétermination voulu par René Jacobs.
Les individualités ne sauraient toutefois résumer la distribution de Così, qui d’abord se doit de former un ensemble. Et le principal défaut de celui réuni sur la scène de l’Opéra du Rhin est que personne ne semble aller dans la même direction musicale.
C’est qu’à force de soigner les détails, raffiner les textures d’un Orchestre symphonique de Mulhouse souvent transfiguré, parfois défiguré, de sonder une rhétorique qui ne va paradoxalement pas au-delà de la musique pure, Ottavio Dantone oublie l’essentiel : la structure, la continuité du discours, la progression dramatique – le continuo n’aide pas il est vrai les récitatifs à faire le lien –, et surtout la cohésion entre la fosse et le plateau.
Conclusion inchangée par rapport à la création : un Così à voir assurément, plus qu’à entendre.
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