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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Norma de Bellini dans une mise en scène de Peter Mussbach et sous la direction de Jean-Christophe Spinosi au Théâtre du Châtelet, Paris.
Le grand flop
Exaspération et incompréhension devant tant de talents gâchés, devant l’inadaptation de la mise en scène à l’œuvre et le grincement abrasif de l’orchestre : c’est ce que l’on retient de cette consternante Norma de Bellini au Châtelet. Un véritable ratage pour cette apparition sur une scène parisienne d’un opéra qui s’y fait relativement rare.
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Revisiter des chefs-d’œuvre, oui. Encore faut-il que la restitution de parties oubliées en vaille la peine ! Sur le papier, les intentions du bouillant maestro Jean-Christophe Spinosi sont lumineuses. Il veut en rétablissant plusieurs passages de la version originale retrouver « la palette des émotions du personnage complexe voulu par Bellini, une Norma bafouée, tiraillée entre ses sentiments et ses devoirs de femme publique, blessée dans son amour ». Dont acte.
« Notre rôle, confie dans le programme le metteur en scène allemand Peter Mussbach à notre confrère Gérard Mannoni, est de raconter l’histoire aux gens de notre époque avec un maximum de sens sans lui substituer nos propres réactions névrotiques. » On est évidemment d’accord avec lui. Et pourtant…
Que voit-on dès le lever du rideau ? Des sous-hommes et femmes aux gestes déglingués qui s’agglutinent ou se traînent par terre. Les fiers Gaulois, barbares ombrageux et revanchards, ne sont que de pleutres traînes-savates tirés d’un asile de fous. Quant à la grande prêtresse Norma, crinière brune de lionne, juchée sur des talons de drag-queen, elle porte un pantalon bling-bing et semble sortir d’une boîte de nuit bavaroise de seconde zone.
Le proconsul Pollione, torse et visage entièrement dorés, pantalon collant également doré, se contorsionne sur un cheval de bois, vaillant coursier qui doit symboliser la puissance de Rome. Norma, qu’il a conquise, chevauche également parfois la monture, tandis que l’attention de l’officier romain s’attarde sur sa nouvelle élue, la jeune druidesse Adalgisa, qui vaticine, vêtue d’une robe à fleurs en liberty à la mode des années 1960.
Le metteur en scène a voulu un huis clos. Les choristes enfermés, même quand ils n’ont rien à chanter, dans un décor en forme de boîte bleue, tirent, poussent, transportent une gigantesque boule (la terre, la lune invoquée par les druides ?). Sans doute est-ce histoire de s’occuper. Au bénéfice du metteur en scène, le décor bleu est d’une grande beauté ainsi que la gigantesque sphère qu’accompagne une autre très petite où une jeune acrobate se joue de l’équilibre.
Le bouclier de Brennus qui occupe toute la hauteur de la scène, les déplacements des chanteurs-acteurs sont également d’une belle harmonie plastique. C’est magnifique pour les photos, tout comme au final l’embrasement non pas du bûcher mais du cheval romain. Mais quel rapport avec le pathétique destin de Norma ?
Reste la musique, hélas pas mieux servie. Le drame de cet opéra, c’est que tout le monde a dans la tête Casta Diva chanté par la Callas avec une brisure émotionnelle incomparable. Comment une jeune chanteuse se risque-t-elle aujourd’hui à affronter de tels souvenirs ? On ne peut qu’être indulgent avec elle. La jeune et jolie américano-géorgienne Lina Tetriani n’est évidemment pas de taille à affronter le mythe. Pourtant, au fil de représentations, quand son trac aura passé, elle pourra se montrer plus prodigue en sensualité.
Plus intéressante, Paulina Pfeiffer (Adalgisa) possède une voix charnue qui ne demande qu’à se développer. Côté hommes, en cette soirée de première, la basse française Nicolas Testé, aphone, joue le rôle d’Orovesto que chante à l’avant-scène le Polonais Wojtek Smilek. Il est la seule grande voix de la soirée, au point de se demander : qu’est-il venu faire dans cette galère ?
Côté fosse, aigrelet, acide, abrasif même, l’Ensemble Matheus de Jean-Christophe Spinosi a le charme et la tendresse d’une paille de fer. Après avoir essuyé des sifflets à la fin de la première partie, le début de la seconde se fait attendre. Les musiciens, tout en cherchant la partition manquante du chef, se mettent à s’accorder quand un spectateur leur lance : « c’est pas la peine, ça sert à rien ! » Rire de la salle.
Faut-il, en dépit de tout, sauver le soldat Spinosi, qui transforme le chef-d’œuvre de Bellini en un sautillement permanent, traversé d’éclats convulsifs ? Ce musicien sympathique, énergique, acharné, dégage une exubérance que partagent bien peu de ses confrères de la musique baroque. Mais cette fois, difficile de ne pas l’associer étroitement au naufrage de cette Norma qui restera un gigantesque flop.
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