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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Rheingold de Wagner dans une mise en scène de Günter Krämer et sous la direction de Philippe Jordan à l’Opéra de Paris.
Ring Bastille (1) :
Un retour sans Ă©clat
On attendait le retour du Ring à l’Opéra de Paris depuis plus d’un demi-siècle. C’est chose engagée avec cet Or du Rhin qui concrétise les débuts de Philippe Jordan en tant que directeur musical de l’institution. Succès public pour une lecture musicale élégante mais sans grande tension et pour une distribution de grande qualité, accueil plus mitigé pour une production assez discutable.
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Cela paraît incroyable, pour la France « fille ainée du wagnérisme », le Ring n’a été joué que huit fois intégralement à l’Opéra de Paris ! Après le dernier cycle complet de 1957, Georges Auric avait confié à Wieland Wagner un nouveau cycle, réduit à la seule Walkyrie du fait du décès prématuré du metteur en scène. Rolf Liebermann à son tour avait tenté, fin 1976, de monter un Ring contemporain de la révolution Chéreau. L’échec fut patent, du fait de la mésentente totale entre Georg Solti et les metteurs en scène Peter Stein et Klaus Michael Grüber, dont les images restent parmi les plus belles et les plus cohérentes qu’on ait offertes aux deux premiers volets de l’œuvre.
L’Opéra renonça à poursuivre, laissant au Théâtre des Champs-Élysées, au Châtelet, l’occasion de ramener l’œuvre à Paris, pour des productions emblématiques et contrastées – Daniel Mesguish, Pierre Strosser, Bob Wilson. C’est dire si l’on pouvait attendre le retour annoncé du cycle entier pour les saisons 2010-2011 avec impatience, et le public explosant de joie en fin de ce premier Rheingold semblait avant tout manifester le plaisir de retrouvailles trop repoussées.
Le prologue de cette nouvelle Tétralogie n’a pas cependant entièrement convaincu. Il faut saluer certes la prestation de Philippe Jordan. Après un prélude dont les équilibres sonores entre pupitres et le dynamisme en devenir laissent à redire, ses choix apparaissent vite perceptibles : sa direction très raffinée cultive l’esthétique, et l’orchestre du nouveau directeur musical est clair, lumineux, structuré, impeccable dans sa transparence et son allégement.
La beauté formelle s’impose comme une volonté, mais c’est au détriment de l’indispensable théâtralité. Et le manque de tension et de dramatisme s’installe peu à peu, et surtout à la scène IV, avec une nette baisse d’intérêt, et un certain ennui même. On aimerait ici que les climax imposés par la narration (la malédiction de l’anneau, le meurtre de Fasolt, la montée au Walhall) sortent enfin du trop bien tenu. Faiblesse qui, si elle n’est pas maîtrisée, pourrait s’avérer redoutable pour les grandes architectures des trois journées à venir.
Par malchance, le propos scénique n’emporte pas plus le mouvement narratif vers l’irrésistible, mais bien plutôt vers le prosaïsme. Absence de dimension poétique ou épique, combien même des tableaux comme les innombrables bras rouges ondulant en guise de flots du Rhin, ou le lumineux escalier mobile à la Svoboda figurant le Walhalla soient de belles images, le spectacle tombe à plat, faute d’une direction d’acteurs engagée : Günter Krämer s’amuse à montrer l’artificiel derrière la naïveté, le clin d’œil fatigué plus que la nouveauté.
Et tout cela apparaît bien appuyé et maladroit, comme ces torses de caoutchouc qui habillent – mal – les dieux en les empêchant d’êtres eux-mêmes, comme ces figurants trop nombreux rendant illisible l’entassement de l’Or devant Freia, comme ces énormes lettres gothiques composant le mot « Germania » qu’on vient porter sur scène au final, après le ratage des scènes de Donner et de l’arc en ciel.
Collage d’éléments trop vus
Les metteurs en scène de la Schaubühne conspués en 1976, partant sur le terrain presque encore vierge du post-wielandisme, avaient innové magnifiquement tout un théâtre différent de celui Chéreau. En 2010, cohérence du sens et nouveauté de l’image peuvent seuls faire événement : Rheingold n’est sur ce plan qu’un collage d’éléments trop vus, des chaussures aux genoux d’Alberich du Ring de Weimar à la sphère d’or de Martinoty, des manifestations avec drapeaux rouges des premières lectures socialisantes à l’escalier de Svoboda, comme nombre d’autres éléments délaissés sitôt exposés.
La distribution en souffre quelque peu, même si elle s’avère excellente sur le plan vocal, Falk Struckmann (Wotan) apparaissant comme son seul point faible : voix sans relief, et personnage comme absent. Une constance qui sera celle de la cohorte divine, aux personnifications sommaires, malgré l’excellence de Qiu Lin Zhang (Erda) ou le racé de Sophie Koch (Fricka).
Seul le Loge de Kim Begley semble avoir intéressé le metteur en scène, qui en tire un clown fellinien digne de Cabaret, enfilant pour son récit la défroque d’une Fille du Rhin pour virer à une Platée formidable. Géants de belle ampleur (Iain Paterson, Günther Groissböck), nains très présents (Peter Sindhom, Alberich prenant, Wolfgang Ablinger-Sperrhacke superbe Mime).
Bref, un Or du Rhin de bon niveau, mais pas celui qu’on pouvait espérer pour Paris.
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Opéra Bastille, Paris Le 04/03/2010 Pierre FLINOIS |
| Nouvelle production de Rheingold de Wagner dans une mise en scène de Günter Krämer et sous la direction de Philippe Jordan à l’Opéra de Paris. | Richard Wagner (1813-1883)
Das Rheingold, prologue du festival scénique Der Ring des Nibelungen (1869)
Livret du compositeur
Orchestre de l’Opéra de Paris
direction : Philippe Jordan
mise en scène : Günter Krämer
décors : Jürgen Bäckmann
costumes : Falk Bauer
Ă©clairages : Diego Leetz
Avec :
Falk Struckmann (Wotan), Samuel Youn (Donner), Marcel Reijans (Froh), Kim Begley (Loge), Iain Patterson (Fasolt), Günther Groissböck (Fafner), Peter Sidhom (Alberich), Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Mime), Sophie Koch (Fricka), Ann Petersen (Freia), Qiu Lin Zhang (Erda), Caroline Stein (Woglinde), Daniela Sindram (Wellgunde), Nicole Piccolomini (Flosshilde). | |
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