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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Création mondiale d’Émilie de Kaija Saariaho dans une mise en scène de François Girard et sous la direction de Kazushi Ono à l’Opéra de Lyon.
Émilie… jolie
Karita Mattila (Émilie)
Création mondiale à l’Opéra national de Lyon : Émilie, troisième opéra de la Finlandaise Kaija Saariaho, sur un livret d’Amin Maalouf, écrit sur mesure pour la diva Karita Mattila, a été accueilli par une volée de bois vert. Pourtant, dans la lignée de ses précédents ouvrages lyriques, l’œuvre est intelligente, émouvante, fascinante.
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Quelle difficulté que d’arriver plutôt jeune à la célébrité ! L’Amour de loin, premier opéra de la compositrice finlandaise de Paris Kaija Saariaho (58 ans), modelée dans le giron de l’IRCAM, avait été accueilli en 2000 à Salzbourg puis au Châtelet avec transport. Elle était parée alors de toutes les vertus : intelligence, sensibilité, intransigeance et rigueur dans une écriture pleine de nouveautés.
La mise en scène de Peter Sellars avait elle aussi subjugué. On tenait une musicienne de tout premier plan. Ses inventions dans des quatuors et pièces instrumentales, pleines de fluctuations mélodiques et de pulsions rythmiques, créaient un foisonnement timbrique à nul autre pareil.
C’était du miel avant le fiel, injecté goutte à goutte depuis. Pensez donc : son deuxième opéra, Adriana Mater, toujours sur un livret du franco-libanais Amin Maalouf, prix Goncourt 1993 pour le Rocher de Tanios, était créé à l’Opéra Bastille en 2006 avec à la direction une vedette de la baguette, Esa-Pekka Salonen.
C’était sans doute trop pour le microcosme parisien dont envies, intrigues et jalousies sont depuis quatre siècles le fonds de commerce. Quand est arrivée la Passion de Simone, oratorio créé à partir de la vie et de l’œuvre de la philosophe Simone Weil, le milieu a eu quasiment un haut-le-cœur. On ne reconnaissait plus aucune qualité à Kaija Saariaho. Allez savoir pourquoi ?
Aujourd’hui, la goutte a fait déborder le vase. Voici la dame créant un nouvel opéra intimiste sur une femme, première scientifique européenne : intrigue aussi déroutante que le texte et la musique. Le résultat, une incompréhension totale, rien ne correspondant aux critères actuels. C’est là que gagne Saariaho. Elle est originale, rigoureuse et sa musique provoque, entre monotonie et fulgurance, une impression irrépressible d’enfermement, de suffocation et d’ouverture sur la vie.
Quel formidable destin que celui d’Emilie, marquise du Châtelet : dès sa prime enfance, elle se révèle comme une intellectuelle hors pair. Son père, le marquis de Breteuil, lui a donné l’éducation que l’on réservait alors aux garçons. Elle est déjà par ses capacités intellectuelles une énigme. Son mariage arrangé, pour convenances familiales, au marquis du Châtelet auquel elle donna trois enfants, a fait d’elle une épouse mais aussi une femme libérée.
Elle aura de nombreux amants dont le maréchal de Richelieu et Voltaire. Il croit en elle, lui le poète, elle la géomètre, avec passion. Il l’appelle « la sublime, la divine Émilie ». Il n’a rien à dire quand elle s’amourache du poète des Saisons, le marquis de Saint-Lambert, de dix ans son cadet, dont en ce mois de septembre 1749 elle attend un enfant.
Elle est aussi haletante, aussi monocorde que cette musique de Kaija Saariaho, Émilie livre en même temps deux combats, celui de donner vie à un enfant et celui de traduire un texte historique de Newton. Elle accouche des deux en même temps. Certes, elle a 43 ans et sa petite fille va mourir quelques jours après sa naissance. Elle aussi en mourra d’ailleurs. Reste un texte, une traduction et une interprétation de Newton qui font encore, deux siècles et demi après, autorité.
Sur ce formidable scénario, l’interprétation de Karita Mattila est exceptionnelle. On la connaît bien. Mini-jupe aussi rose que ses ongles et ses cils, elle subjugua le festival d’Aix dirigé par Louis Erlo lors d’un Così fan tutte de référence. On la vit plus tard dans une nudité aussi intégrale que somptueuse lors de Salomé de Strauss à la Bastille. La voici, ventrue et cheveux pendants, dans ce combat entre la vie, la création et la mort.
Duel entre amour et ambition
Le somptueux décor figure les planètes qui tournent autour du soleil et cette comète de Halley dont Émilie du Châtelet, par l’intermédiaire de Newton, va expliquer le fonctionnement. Certes, on aimerait que le texte d’Amin Maalouf prenne davantage de hauteur par rapport à la création, à la physique, au duel intérieur de cette femme coincée entre son amour et son ambition.
Convulsive, persécutée, aimante, déchirée, Émilie l’est pendant l’heure vingt que dure l’opéra. Elle l’est sur le même rythme, sur le même thème, sans autre montée dramatique que le pressentiment de la mort. Ce monodrame incandescent dans la lignée d’Erwartung de Schoenberg et de la Voix humaine de Poulenc fascine et lasse à la fois car la ligne de chant, toujours la même, ne permet pas aux possibilités vocales fabuleuses de Karita Mattila de s’exprimer totalement.
Mais c’est dense, superbe, un peu répétitif, quitte à en laisser certains sur leur faim. À moins que la première écoute d’une création ne permette pas toujours d’en apprécier les richesses chatoyantes.
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Opéra national, Lyon Le 01/03/2010 Nicole DUAULT |
| Création mondiale d’Émilie de Kaija Saariaho dans une mise en scène de François Girard et sous la direction de Kazushi Ono à l’Opéra de Lyon. | Kaija Saariaho (*1952)
Émilie, opéra en neuf scènes (2010)
Livret d’Amin Maalouf
Création mondiale
Commande de l’Opéra de Lyon, du Barbican Centre de Londres et de la Fundação Calouste Gulbenkian de Lisbonne
Orchestre de l’Opéra de Lyon
direction : Kazushi Ono
mise en scène : François Girard
décors : François Séguin
costumes : Thibault Vancraenenbroeck
Ă©clairages : David Finn
réalisation informatique musicale : Christophe Lebreton
Avec :
Karita Mattila (Émilie) | |
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