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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Lucio Silla de Mozart dans une mise en scène d’Emmanuelle Bastet et sous la direction de Thomas Rösner à Angers Nantes Opéra.
Giunia Archibald
Deuxième opera seria d’un compositeur de seize ans, Lucio Silla demeure rare à la scène. Mais bien plus qu’aux les faiblesses dramatiques inhérentes à un genre en pleine mutation et dans lequel Mozart se sentait déjà à l’étroit, la faute en revient aux irréductibles embuches qui parsèment le rôle de Giunia. Angers Nantes a déniché la perle rare en la personne de Jane Archibald.
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Dans Lucio Silla, deuxième et dernier opera seria commandé à Mozart par le Teatro Regio Ducale de Milan, la prima donna domine tout. Même le primo uomo, le fameux castrat Venanzio Rauzzini que le jeune compositeur consolera, peut-être, de ce déséquilibre en lui écrivant l’Exsultate, jubilate. Qu’avait donc dans le gosier la Signora Anna Lucia De Amicis-Buonsolazzi, celle-là même qui, selon Charles Burney, fut « la première à introduire sur nos scènes les staccate colorature », pour inspirer à l’adolescent ces acrobaties vocales fulgurantes jusqu’à l’inhumain ?
La réponse se trouve assurément dans l’Armida abbandonata de Jommelli. Car si l’opéra lui paraît « beau, mais trop raisonnable et archaïque pour le théâtre », son interprète lui fait plus que forte impression, chanteuse époustouflante et superbe actrice. Il était donc inévitable que Giunia, taillées à ses mesures, fasse de l’ombre à tous les autres personnages, y compris Cecilio, et Lucio Silla surtout, pour lequel il fallut se rabattre sur un ténor d’église qui n’avait jamais mis les pieds sur une scène de théâtre. Ce que Mozart exige de sa prima donna est simplement au-delà du chant, un saut de l’ange vocal auquel seul peut survivre un phénomène.
Jane Archibald, dont la Zerbinetta genevoise n’atteignait pas ce degré d’évidence, s’y révèle simplement prodigieuse. Le délié des vocalises, portées par un souffle vertigineux, n’a d’égal que le plein d’un cantabile serti dans ce timbre adamantin qui ne refuse ni la chair, la pulpe, ni les angles. Portrait haletant, suicidaire, romantique d’une héroïne qui ne déparerait pas les plus macabres heures du siècle suivant. Par la flamme, l’urgence, l’âme tout simplement.
Celle qui manque encore – sans doute n’est-ce qu’une question d’expérience du rôle – au Cecilio de Paola Gardina, par ailleurs remarquable de couleur – insuffisamment variée peut-être entre les tenues extatiques de son tenero memento et le raptus refréné de Quest’improvviso tremito –, d’extension, d’agilité et de frémissement. Tout aussi jeune, et révélation lui aussi, le Silla de Tiberius Simu, aux phrasés, à l’incarnation d’emblée mûrs, déploie un velours corsé juste ce qu’il faut, qui promet pour demain, au plus haut niveau, tout ce qu’il a déjà fait quotidiennement en troupe à Leipzig.
Quoi qu’elle chante, malgré cet instrument toujours un peu trop pointu pour avoir réellement du charme, Jaël Azzaretti est d’une acuité remarquable, et son Cinna est mieux encore. Quant à Céleste Lazarenko, elle se gargarise avec la lumineuse fraîcheur des innocentes des staccati dont Mozart a parsemé les airs de Celia, sans doute pour complaire à la Signora Mienci.
Dans la fosse, Thomas Rösner tient un discours plus que perméable à la leçon des baroqueux, vif sans systématisme, jusqu’à oser des rubati rhétoriques. C’est là , mais aussi ailleurs à vrai dire, que l’Orchestre national des Pays de la Loire peine à le suivre, dépassé par les exigences rythmiques autant que chromatiques d’une partition qui laisse deviner ces territoires inexplorés conquis dans Idomenée.
Car Lucio Silla est d’un seria certes tardif mais encore rigidifié par l’hypertrophie des airs, qu’Emmanuelle Bastet parvient à assouplir, dynamiser par un sens affûté de la continuité dramatique, qui n’est pas sans rappeler la manière pionnière des époux Herrmann – venant de qui les vénère, le compliment n’est pas mince –, à l’instar du XVIIIe siècle épuré, stylisé des costumes et de la symbolique pertinente sinon toujours esthétiquement aboutie de la scénographie de Tim Northam. Ces images jamais figées, les ombres et reflets projetés par les lumières de François Thouret achèvent d’en accroître la persistance.
Prochaines représentations :
Grand Théâtre d’Angers les 24, 26 et 28 mars
Opéra de Rennes le 30 avril et les 3, 5, 7 et 9 mai avec l’Orchestre de Bretagne dirigé par Claude Schnitzler, Géraldine Casey (Giunia) et Kristina Hammarström (Cecilio)
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