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CRITIQUES DE CONCERTS |
22 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Dans la colonie pénitentiaire de Glass dans une mise en scène de Richard Brunel et sous la direction de Philippe Forget au Théâtre de l’Athénée, Paris.
Hallucinatoire à frémir
Quatre-vingts minutes d’intensité dans une mécanique meurtrière implacable dont la montée dramatique sied à la froideur, à la rigueur d’une musique répétitive également mécanique. C’est Dans la Colonie pénitentiaire de Philip Glass d’après Franz Kafka, présenté dans une production hallucinatoire et parfaitement réussie à l’Athénée.
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Athénée Théâtre Louis-Jouvet, Paris
Le 07/04/2010
Nicole DUAULT
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Présenté en France à Lyon et à Rouen, l’opéra de poche de Phil Glass connut un accueil aussi triomphal dans ces salles que lors de sa création aux États-Unis en 2000. Il arrive à l’Athénée. Pas une seconde de temps mort ni dans la musique, ni l’intrigue ou la mise en scène, c’est une réussite.
L’histoire est tirée de la nouvelle de Kafka, écrite en 1914, souvent érigée en prophétie de l’horreur concentrationnaire. Le livret, structuré par le romancier américain Rudolph Wurlitzer, scénariste du cinéaste Sam Peckinpah, suit le récit de Kafka ; il est très cinématographique. Les cinéphiles le rapprocheront du film de Scorsese, Shutter Island, actuellement sur les écrans, bien qu’il soit encore plus percutant.
Dans une île-prison, au large de la civilisation, est installée la colonie pénitentiaire. Un observateur étranger s’y trouve en visite. Il découvre comment on y punit les condamnés qui n’ont droit à aucun procès et ne sont donc informés d’aucune sentence. Les exécutions se font à l’aide d’un appareil hérissé de pointes et d’aiguilles qui inscrivent dans la chair même du condamné les motifs de sa condamnation. Après une torture longue, sanglante, monstrueuse à laquelle des spectateurs, hommes raisonnables pris dans le système totalitaire, assistent sans se révolter, le condamné meurt.
Robert Badinter, ancien garde des Sceaux, assistait à la première représentation de l’Athénée. Ce n’était pas sans rapport avec l’exposition Crime et Châtiment qu’il a initiée au musée d’Orsay et où est installée une représentation de la fictive machine barbare de Kafka. Au-delà du plaidoyer contre la peine de mort ou de l’inhumanité de l’appareil d’État, l’opéra de Glass et le texte de Kafka sont d’une actualité étonnante.
Les personnages qui assistent à l’exécution sont fascinés, éprouvent de la répulsion et comme dans un récent jeu télévisé reproduisant une telle expérience, ils hésitent à intervenir et laissent faire. Le plus redoutable est-il la cruauté du tortionnaire ou la passivité du visiteur ?
Tout cela est sensible dans la très efficace mise en scène de Richard Brunel avec une scène tournante qui s’accélère au cours de la progression dramatique. Pas de herse visible mais des toiles tendues sur lesquelles apparaissent les dessins de l’inventeur de cette terrifiante machine à supplicier.
Un quintette à cordes et quatre rôles – deux chantés, un parlé (tous trois en anglais) et un muet – accompagnent le texte troublant, fantastique et poétique. La musique de Phil Glass, avec ses répétitions et autre ressassements, accentue la tragédie implacable et l’obsession du propos. Qu’est-ce qui nous fait frémir le plus, la musique ou le texte ? Sans doute leur fusion dans le pathétique.
Quant à l’émotion, elle vibre autant dans la direction du chef du quintette lyonnais, Philippe Forget, qu’avec les deux chanteurs, Stephen Owen en officier et Michael Smallwood en visiteur de cette vision absurde et terrible de la société inhumaine.
Théâtre de l’Athénée, jusqu’au 17 avril.
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