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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Macbeth de Verdi dans une mise en scène par Krzysztof Warlikowski et sous la direction de Paul Daniel au Théâtre Royal de la Monnaie, Bruxelles.
Le poète apprivoisé
La langue du poète ne se livre pas d’emblée, elle s’apprivoise. Celle de Krzysztof Warlikowski trouve un aboutissement dans le Macbeth de Verdi présenté à la Monnaie de Bruxelles, où son foisonnement singulier vise à l’épure. Et ranime la question de la place du metteur en scène, interprète et créateur, à l’opéra. Point de vue forcément radical.
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Théâtre royal de la Monnaie, Bruxelles
Le 19/06/2010
Mehdi MAHDAVI
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Que les thuriféraires de Nicolas Joel s’appliquent à effacer jusqu’à la moindre trace du passage de Gerard Mortier à la tête de l’Opéra de Paris, qualifié d’entracte au détour d’une parenthèse par le plus vénérable d’entre eux, n’a au fond que peu d’importance, puisque le cœur du monde lyrique continue ailleurs de battre avec cette ardeur militante sans laquelle il n’est pas de spectacle vivant.
Ainsi, la Monnaie de Bruxelles, où ce mouvement de fond trouva son impulsion décisive à défaut d’y naître, persiste et signe sous la direction de Peter de Caluwe, qui dès 1986 y fut dramaturge – c’était préparer déjà la relève, assurer la transmission non pas d’un dogme, d’une idéologie, mais d’une vision, qui comme toute vision a ses limites, ses œillères même, mais n’en demeure pas moins à ce jour la plus stimulante. Des évidences d’abord, car il semblerait que d’aucuns les perdent de vue lorsqu’ils pénètrent dans ces intimidantes maisons. Temple, musée ? Non pas.
L’opéra est un théâtre, d’abord, ce depuis ses origines, et sans discontinuer – car une pensée dramaturgique est toujours à l’œuvre jusque dans les œuvres les plus vocales du répertoire, quand bien même elle paraîtrait secondaire. L’opéra est un art, surtout, c’est-à -dire qu’il doit demeurer en prise avec son époque, refuser les certitudes, fuir la complaisance, rester perméable aux différents courants esthétiques, ne pas se figer sous les lourdes étoffes de la tradition, cousues des fils d’un répertoire immuable – qui le réinventera ?
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Avec l’audace du droit à l’échec, l’opéra se doit plus que jamais d’être un laboratoire, qui plus est lorsqu’il dispose d’une dotation considérable. C’est pourquoi le spectateur, certes réduit souvent au rang de consommateur, s’il juge légitimement d’un résultat, ne doit pas rejeter la recherche, celle-là même qu’une direction se doit d’encourager par conviction, au risque de déplaire. En décloisonnant l’institution, en ouvrant ses portes aux sensibilités les plus fortes du moment pour les confronter à la convention inhérente au genre, et ainsi la transcender.
L’opéra est une expérience, et sa poétique ne peut être figée. Dès lors s’immisce la conscience artistique, dans le choix d’une cohérence qui englobe tous les éléments, ne se contente pas d’aligner des noms. Provoquer des rencontres, ouvrir le champ des possibles, éclater les cadres formels, stylistiques, esthétiques qui tiennent une œuvre prisonnière d’elle-même, serait-ce la trahir ? Bien au contraire, c’est sans arguer l’esprit contre la lettre, moins encore prétexter la nécessité de fausses modernités, accepter la part du créateur chez l’interprète.
On a trop voulu, ces dernières années, par paresse sans doute, ou conformisme, réduire des tentatives majeures aux méfaits présumés du Regietheater, irrémédiablement accolés à des laideurs préjugées, comme un délit de faciès. Mais des univers aussi singulièrement divers que ceux qu’a produit la scène contemporaine ne peuvent certainement pas être réduits à une catégorie aussi générique et finalement dénuée de sens, en ce qu’elle se borne à refuser la littéralité, c’est-à -dire le pléonasme. Accordons-leur ce crédit, absolument.
Si chaque spectateur, même le plus passif, se projette dans le spectacle auquel il assiste, le metteur en scène, lui, oriente son regard. Projectionniste, écran ? L’artiste s’interroge inévitablement sur lui-même, et ses réponses, ses solutions, du moins ses propositions, ne valent que si elles lui sont propres. C’est ainsi, et ainsi seulement, que l’œuvre fixée peut se survivre, perpétuellement régénérée par le conflit entre l’époque qui l’a conçue et celle qui la redécouvre, se l’approprie.
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Un imaginaire épuré
Balayer du revers de la main une proposition scénique revient à nier l’essence même du genre opératique, qui est multiple. Dénoncer comme des procédés l’expression d’un rapport au monde, c’est reprocher au poète de forger un style. Poète, Krzysztof Warlikowski l’est, infiniment, et le plus grand peut-être de la scène lyrique actuelle. Parce que son langage ne se livre pas d’emblée. Dans Iphigénie en Tauride de Gluck, il déroutait même jusqu’à l’incompréhension, par surconcentration de références, donc de sens. Comme une invitation à apprivoiser cet imaginaire profus, réfractaire à la ponctuation.
Sans le renier jamais, le Macbeth de Verdi prĂ©sentĂ© Ă la Monnaie pourtant l’épure. Car l’espace conçu par Malgorzata Szcześniak ignore tout Ă©lĂ©ment rĂ©aliste, de ceux qui situent dans ce siècle ou le prĂ©cĂ©dent, par cette abstraction immaculĂ©e qui dĂ©cante la prĂ©cision clinique hallucinĂ©e des prĂ©sences. DĂ©chirure, destruction, dĂ©chĂ©ance, un couple qui tente le tout pour le tout au retour de la guerre. En lui comme en elle, tout est dĂ©rĂ©glĂ©. Dramaturgie limpide, qui explore le revers d’une utopie : malheureux qui, comme Macbeth, a fait un long voyage. Aux confins de lui-mĂŞme.
Nulle frontière entre une réalité désormais impossible à affronter et le délire : Macbeth et Lady dévorés par une blessure originelle, la perte d’un enfant. Qui n’est pas né peut-être, n’a pas vécu assurément. Quand l’obsession de la descendance, de l’absence de filiation, conduit à la folie, à travers ces corps d’enfants masqués de vide. Refus, toujours, de la ponctuation.
Warlikowski, dans l’intimité de Shakespeare et Verdi, de Shakespeare à travers Verdi, suspend constamment le sens. La dérive somnambulique de Lady Macbeth sur fond de Nuit du chasseur est la plus bel instant qu’ait porté une scène d’opéra depuis certain sacrifice d’Iphigénie – le lien, infime en apparence, est celui d’un temps à la dérive justement, qui tend à se confondre avec le rythme musical, jusqu’à le refondre.
D’autant que Paul Daniel l’étire avec une densité qui plonge l’Orchestre symphonique de la Monnaie dans l’abîme. Depuis les galeries, le chœur y gagne un relief sonore et dramatique saisissant dans son invisibilité. Sur le plateau enfin, les incarnations portent leur intensité bien au-delà de performances vocales idoines.
Le Banco au grain noir de Carlo Colombara n’échappe pas, peut-être, à une certaine convention, mais Andrew Richards exsude en Macduff une force primitive, dans son jeu comme dans son chant cuivré. Lady galbée, Iano Tamar cherche un peu ses appuis d’abord, puis trouve des accents, une flamme mate, un contre-ré bémol hantés. Scott Hendricks surtout, peu italien de timbre mais prodigieux de virilité dévastée, cultive sa ligne jusqu’à des murmures écorchés qui laissent pétrifié.
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Théâtre royal de la Monnaie, Bruxelles Le 19/06/2010 Mehdi MAHDAVI |
| Nouvelle production de Macbeth de Verdi dans une mise en scène par Krzysztof Warlikowski et sous la direction de Paul Daniel au Théâtre Royal de la Monnaie, Bruxelles. | Giuseppe Verdi (1813-1901)
Macbeth, melodramma en trois actes (1847/1865)
Livret de Francesco Maria Piave d’après la tragédie de William Shakespeare
Chœurs et orchestre symphonique de la Monnaie
direction : Paul Daniel
mise en scène : Krzysztof Warlikowski
dĂ©cors et costumes : Malgorzata Szcześniak
Ă©clairages : Felice Ross
vidéo : Denis Guéguin
dramaturgie : Christian Longchamp
chorégraphie : Saar Magal
Avec :
Scott Hendricks (Macbeth), Carlo Colombara (Banco), Iano Tamar (Lady Macbeth), Janny Zomer (Dama di Lady Macbeth), Andrew Richards (Macduff), Benjamin Bernheim (Malcolm), Justin Hopkins (Medico / Servo / Araldo), Gerard Lavalle (Sicario). | |
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