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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Rossignol et autres fables de Stravinski dans une mise en scène de Robert Lepage et sous la direction de Kazushi Ono au festival d’Aix-en-Provence 2010.
Aix 2010 (1) :
Un Orient d’ombres et d’eau
Révélé à l’opéra par une Damnation de Faust en forme de grand livre d’images, Robert Lepage a su renouveler son langage dans un Rake’s Progress ingénieusement cinématographique. Délaissant les techniques de pointe, le metteur en scène canadien retrouve Stravinski, dont il plonge le Rossignol et d’autres fables dans un Orient d’ombres et d’eau.
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Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence
Le 06/07/2010
Mehdi MAHDAVI
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Il n’est évidemment pas défendu de ne savourer le Rossignol et autres fables qu’au premier degré de l’enchantement, comme un baume apaisant après les supposées dérives philosophico-politico-psychologisantes qui selon les gardiens du temple, ses fossoyeurs en vérité, polluent l’art lyrique à coups de Regietheater.
Présenté au Grand Théâtre de Provence après sa création à la Canadian Opera Company de Toronto en octobre dernier, le spectacle signé Robert Lepage flatte en effet mieux que tout autre un certain goût de la littéralité, de l’illustration naïve, de l’exotisme bigarré, ce pur hédonisme en somme qui, le plus souvent drapé dans un académisme d’ors fanés, ne tente même pas de dissimuler sa confortable vacuité.
Parce qu’il a plus d’un tour dans son sac, le magicien de la compagnie Ex Machina va cependant bien au-delà de l’illusionnisme décoratif. L’image n’est pas ici une fin, comme elle l’était peut-être dans sa spectaculaire Damnation de Faust de l’Opéra Bastille, mais un moyen d’interroger et de renouveler l’opéra en tant qu’art théâtral dans un rapport à une tradition qui lui est étrangère, en neutralisant donc les habituelles accusations de trahison des intentions plus ou moins informulées du librettiste et du compositeur – celles-là même qui conditionnent le paresseux plaisir de la reconnaissance.
Dans l’ignorance que nous sommes des règles ancestrales qui régissent ces pratiques codifiées à l’extrême, notre idée des ombres chinoises, des marionnettes sur eau vietnamienne et du Bunraku japonais saurait-elle être plus que vaguement esthétique ? L’approche de Lepage et du concepteur des marionnettes Michael Curry incarne d’abord cette curiosité d’un ailleurs rêvé, qui est aussi le nôtre, et que par là même ils s’approprient.
Mêlé à une inventivité constante, notamment dans le rapport à l’échelle et l’angle de vue, ce métissage de différentes techniques, des plus primitives aux plus sophistiquées, produit un Orient à la fois multiple et singulier, reflet miroitant des œuvres de la période russe de Stravinski, depuis le folklore rugueux des Pribaoutki jusqu’à la chinoiserie inspirée du conte de Hans Christian Andersen.
Car le dialogue entre image et musique atteint une intensité rare, qui replace – ou déplace – le chanteur au cœur du processus théâtral. Voix, certes, mais aussi maître du mouvement à travers les marionnettes qui doublent, et même triplent sa présence sonore. Ainsi, le merveilleux n’opère que parce qu’il se dévoile, qu’il s’agisse, dans Renard, des jambes des acrobates-manipulateurs, ou même des musiciens de l’orchestre, que la fosse remplie d’eau intègre à la scénographie.
Là est la clé poétique d’un spectacle dont la liberté formelle comme la rigueur expérimentale épousent l’écriture de Stravinski, d’autant que le collage d’œuvres diverses révèle ses sources communes à travers une progression équilibrée, sans prétendre à la continuité. Le Ragtime qui ouvre le spectacle ferait presque diversion s’il n’imposait une science du rythme que Kazushi Ono exalte jusque dans les chatoyances noctures du Rossignol. D’un geste félin, le chef japonais rebondit en souplesse, caressant les galbes transparents d’un Orchestre de l’Opéra de Lyon en état de grâce.
Russes dans leur grande majorité, les chanteurs les teintent d’un idiome fluide, à commencer par le Pêcheur éperdument séduisant du ténor lituanien Edgaras Montvidas. Et de cette pulpe typiquement slave qui gorge de chair juteuse jusqu’au soprano le plus ductile, le Rossignol d’Olga Peretyatko prolonge, tel Shéhérazade, les mille et une nuits d’un empereur de Chine.
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Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence Le 06/07/2010 Mehdi MAHDAVI |
| Nouvelle production de Rossignol et autres fables de Stravinski dans une mise en scène de Robert Lepage et sous la direction de Kazushi Ono au festival d’Aix-en-Provence 2010. | Igor Stravinski (1882-1971)
Le Rossignol et autres fables
Chœur et orchestre de l’Opéra national de Lyon
direction : Kazushi Ono
mise en scène : Robert Lepage
scénographie : Carl Fillion
conception des marionnettes : Michael Curry
chorégraphie des marionnettes : Martin Genest
costumes, perruques et maquillages : Mara Gottler
éclairages : Étienne Boucher
conception des ombres chinoises : Philippe Beau
marionnettistes : David Bonneville, Andrea Ciacci, Noam Markus, Sean Robertson, Caroline Tanguay, Martin Vaillancourt
Ragtime
Trois Pièces pour clarinette seule (Jean-Michel Bertelli)
Pribaoutki, Berceuses du chat (Svetlana Shilova, mezzo-soprano)
Deux poèmes de Constantin Balmont (Elena Semenova, soprano)
Quatre chants paysans russes (chœur de femmes de l’Opéra national de Lyon)
Renard, histoire burlesque chantée et jouée (1922)
Texte du compositeur d’après des contes populaires russes.
Marat Gali, ténor 1
Edgaras Montvidas, ténor 2
Nabil Suliman, baryton 1
Ilya Bannik, baryton 2
Le Rossignol, conte lyrique en trois actes (1914)
Livret d’Igor Stravinski et Stephan Mitousov d’après Hans Christian Andersen.
Avec :
Olga Peretyatko (le Rossignol), Elena Semenova (la Cuisinière), Svetlana Shilova (la Mort), Edgaras Montvidas (le Pêcheur), Ilya Bannik (l’Empereur de Chine), Nabil Suliman (le Chambellan), Yuri Vorobiev (le Bonze), Philippe Maury, Didier Roussel, Paolo Stupenengo (Trois émissaires japonais). | |
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