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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Concert de la Philharmonie de Berlin sous la direction de Sir Simon Rattle, avec la participation de la soprano Karita Mattila au festival de Salzbourg 2010.
Salzbourg 2010 (8) :
L’art de la complaisance
Merveilleux programme consacré au dernier Wagner, au dernier Strauss et aux trois hérauts de la Seconde École de Vienne pour le concert des Berliner en clôture de Salzbourg 2010. La reine des phalanges allemandes transfigure des partitions dans lesquelles Sir Simon ne se départ jamais longtemps de ses effets complaisants.
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Nous évoquions il y a tout juste quelques heures la peur panique de tant de chefs de notre époque à l’idée de faire confiance à la partition, leur plaisir à s’adonner à la nouveauté pour la nouveauté, qui accouche souvent d’interprétations incongrues et superficielles, cherchant l’effet pour l’effet.
Ce soir, Sir Simon Rattle met les pieds dans le plat. Pour preuve, un prélude de Parsifal dont la première phrase a déjà de quoi faire sursauter par sa nuance poussée au mezzo-forte affaiblissement la mixture bois graves-cordes et ruinant d’emblée le sens même de cette page magique par sa soumission au principe du bon vouloir, d’un arbitraire que rien dans le texte musical ne saurait justifier.
Si l’on ajoute que l’extrême lenteur n’est pas assez tenue, que les syncopes sont négligemment mises en place, que le motif de la foi est énoncé rapidement et mollement avant de s’affaisser encore dans le tutti, ponctué de timbales dont on entend chaque coup plutôt qu’un roulement de fond, et que vers la fin, la merveilleuse modulation par les trémolos graves est littéralement inaudible, on n’aura qu’à déplorer une fois encore la manie du chef britannique de sélectionner au hasard trois détails et d’en abandonner mille autres pour construire une interprétation.
Pourtant, Sir Simon avait concocté un merveilleux programme consacré au tournant des XIXe et XXe siècle, partant logiquement de Wagner, passant par les feux tardifs du postromantisme du dernier Strauss, avant de réserver la deuxième partie de la soirée aux Sécessionnistes viennois.
Comme on sait que le petit maestro frisé se meut en général avec beaucoup d’aisance dans la musique « moderne », on s’attendait à un grand moment d’École de Vienne. Et si en effet les Berliner y affichent une splendeur absolue, des cordes jouant comme un seul homme, avec une énergie farouche, un rang de trombones ébouriffant de puissance maîtrisée, et des soli de toute beauté, les options du Generalmusikdirektor laissent un sentiment mitigé.
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il inscrit tant les partitions exigeantes, âpres et difficiles en diable de Schoenberg, Webern et Berg dans la filiation mahlérienne qu’il en émousse considérablement les angles vifs, les contours écharpés, les contrastes de nuances fulgurants et les ruptures de tempo, au profit d’une magnifique narration linéaire jamais dérangeante.
Or, insuffler tout le confort d’écoute, rendre accessible ce répertoire sans le moindre effort, n’est-ce pas au fond l’appauvrir terriblement ? Symptomatique, l’approche didactique du Farben de Schoenberg tourne à vide, trop nette, trop propre, sans le tuilage poisseux nécessaire à l’établissement d’une vraie mélodie de timbres, tandis que la marche funèbre avorte son gigantesque climax chez Webern.
À l’inverse, le très mahlérien Vergangenes de Schoenberg et ses lignes instrumentales expressives jusqu’à la dernière goutte, les échos de valse déformés du Reigen de Berg trouvent un terrain d’accomplissement certain. On se consolera de toute manière avec la seule excellence d’un orchestre transcendant de frémissements, de nuances infinies, de sens collectif du jeu où chaque individualité sait se fondre dans le grand tout.
Le seul moment où Rattle sait se faire oublier derrière la musique est l’exécution des Quatre derniers Lieder de Strauss, où il tient parfaitement son rôle d’accompagnateur, soutien discret et porteur pendant le chant, éloquent le reste du temps, distillant autant d’atmosphères très justes et senties, à l’exception notable de l’erreur qui consiste selon nous, après le magnifique solo de cor de September, à relancer carrément la machine sur la dernière phrase de cordes.
Karita Mattila, avec son timbre cendré, ses nuances crépusculaires, sa charge émotionnelle de femme arrivée à la pleine maturité, accomplit des miracles de musicalité, n’était la tendance trop opératique des envolées de Beim Schlafengehen, imputables sans doute au chef si l’on en juge par la similitude entre les accents du chant et ceux des cordes.
Et si la soprano truque aujourd’hui un peu plus que naguère – les consonnes émoussées de Im Abendrot – et doit composer avec un vibrato un rien accusé, elle n’en demeure pas moins l’une des interprètes majeures de ce cycle périlleux entre tous. Pour clore son apparition, avec son habituel grain de folie, la Finlandaise lancera, au milieu des applaudissements et a cappella, tel un bis de dix secondes, le Heilig, heilig, ans Herz dir sank, habe Dank ! d’Allerseelen, en remerciement à un public qui exulte.
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GroĂźes Festspielhaus, Salzburg Le 29/08/2010 Yannick MILLON |
| Concert de la Philharmonie de Berlin sous la direction de Sir Simon Rattle, avec la participation de la soprano Karita Mattila au festival de Salzbourg 2010. | Richard Wagner (1813-1883)
Prélude au Ier acte de Parsifal
Richard Strauss (1864-1949)
Vier letzte Lieder
Karita Mattila, soprano
Arnold Schoenberg (1874-1951)
FĂĽnf OrchesterstĂĽcke op. 16
Version originale de 1909
Anton Webern (1883-1945)
Sechs StĂĽcke fĂĽr Orchester op. 6b
Version révisée de 1928
Alban Berg (1885-1935)
Drei OrchesterstĂĽcke op. 6
Version révisée de 1929
Berliner Philharmoniker
direction : Sir Simon Rattle | |
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