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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Reprise du Vaisseau fantôme de Wagner mis en scène par Willy Decker, sous la direction de Peter Schneider à l’Opéra de Paris.
Le choix de Senta
Klaus Florian Vogt (Erik)
Dix ans après sa création, la production du Vaisseau fantôme de Willy Decker apparaît plus que jamais comme manquant d’engagement, de force et de vitalité. Rien de choquant, certes, mais un spectacle dont l’impact dépend totalement de la qualité des chanteurs et du chef. Pour cette reprise, on va du meilleur au décevant.
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Il y eut dans certaines distributions du Chevalier à la rose de si belles Maréchales qu’on se demandait pourquoi Quinquin les quittait pour cette jeune oie de Sophie. Ici, on pourrait s’interroger sur les raisons qui poussent Senta à préférer l’inintéressant et assez balourd Hollandais de James Morris, wagnérien vénérable certes, mais à la voix bien fatiguée et surtout dont le personnage est dépourvu de toute dimension fantomatique, infernale, mystérieuse, au si séduisant Erik, athlétique, bien dans son personnage et chantant à la perfection.
Bien sûr, il ne s’agit pas d’une histoire d’amour comme les autres, et la mise en scène, tout axée sur un dédoublement de la personnalité d’une Senta follement éprise du Hollandais sans cesser pour autant d’aimer Erik, nous montre bien que le drame est plus psychologique et mental que simplement affectif.
Mais encore faut-il que soit le spectacle soit les chanteurs sachent le raconter. Or la mise en scène, dans le strict décor de Wolfgang Gussmann, apparaît toujours aussi sage, plutôt terne, sans jamais oser pencher vers un romantisme avoué ni vers une abstraction assumée. Seule audace, la mort de Senta, qui se poignarde au lieu de se jeter dans les flots. Cela n’apporte rien et correspond mal aux accents transcendants de la partition à cet instant.
Il faut donc des voix et des tempéraments pour que justice soit malgré tout rendue tant aux insondables mystères de la légende qu’à la richesse de l’inspiration wagnérienne. Routier wagnérien s’il en est, Peter Schneider obtient de belles sonorités de l’Orchestre de l’Opéra, mais ne lui communique aucun élan spécifique.
On reste dans une lecture à la lettre, sans erreurs ni folies, qui n’entraîne aucunement l’auditeur dans cette course insensée à l’enfer, dans cet irrationnel absolu, envoûtant. C’est plutôt beau à entendre, mais cela ne brûle jamais, et ne compense surtout pas la déception engendrée par un James Morris usé vocalement et dénué théâtralement de toute dimension surnaturelle.
Impossible de croire une seconde que ce Monsieur tout le monde puisse être une créature entre ciel et enfer et nourrir à ce point le rêve de Senta jusqu’à la mort. Surtout que son rival est le si brillant Erik de Klaus Florian Vogt. Voix jeune et claire, puissante par nature mais jamais en force, physique rêvé pour tout héros wagnérien avec sa stature et sa crinière blonde, sa musicalité et sa sincérité spontanée en font le personnage masculin principal du spectacle. Le public ne s’y trompe d’ailleurs pas en l’ovationnant au rideau final.
Matti Salminen demeure un solide et très plausible Daland, mais l’autre bonne surprise est la Senta d’Adrianne Pieczonka, qui, de même que Vogt, débute à l’Opéra de Paris. Un peu timide dans le début de la Ballade, la soprano d’origine canadienne assume la scène finale avec autorité, une voix large, charnue, se développant avec chaleur dans l’aigu.
Nous sommes loin, naturellement, du drame inné de la voix d’une Astrid Varnay ou des emportements sublimes d’une Leonie Rysanek, mais cette Senta a de la présence, aussi bien musicale que scénique, et contribue à compenser le trop effacé Hollandais de Morris et la si prudente direction de Schneider.
De leur côté, le ténor suisse Bernard Richter et notre compatriote Marie-Ange Todorovitch donnent tout le relief possible aux personnages du Steuermann et de Mary. Les chœurs, aussi peu gâtés par les costumes que par la mise en scène, sont dans la bonne dimension musicale et dramatique.
Alors, on se dit qu’il ne s’en faut pas de beaucoup pour que cette soirée soit une vraie joie wagnérienne. Avec un chef un peu plus inspiré ou une mise en scène un peu plus imaginative ou un Hollandais un peu plus crédible – George London, Thomas Stewart, Hans Hotter ou même Hermann Uhde, sans parler de Bryn Terfel, où êtes-vous ? – tout se vivrait dans un autre rythme, dans d’autres couleurs infernales et passionnelles, dans la profondeur de la légende où Wagner veut nous entraîner.
Mais quel bonheur d’entendre sur ce plateau une Pieczonka et surtout un Vogt, déjà si bien apprécié dans le monde, notamment en Lohengrin, en Parsifal et en Walther von Stolzing !
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