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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production d’Orlando de Haendel dans une mise en scène de David McVicar et sous la direction d’Emmanuelle Haïm à l’Opéra de Lille.
Orlando assuré tout risque
Sonia Prina (Orlando)
Réuni par l’Opéra de Lille après le succès de son Giulio Cesare trépidant, le duo formé par Emmanuelle Haïm et David McVicar partait gagnant. Trop peut-être. Car la fondatrice du Concert d’Astrée autant que le metteur en scène écossais demeurent comme prisonniers de leur savoir-faire. En deçà donc des audaces formelles que la folie d’Orlando inspira à Haendel.
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Lorsque le 20 novembre 1732, Haendel met la touche finale à son nouveau dramma per musica, son horizon semble parfaitement dégagé. Son éternel rival Giovanni Bononcini vient de quitter Londres, discrédité par une mesquine histoire de plagiat, et l’idée même de l’Opéra de la Noblesse, qui lui donnera tant de fil à retordre dès l’année suivante, n’a pas encore germé dans l’esprit de rébellion de ses adversaires. Ainsi libéré des diktats de la mode, le dramaturge se livre à un subtil torpillage des canons de l’opera seria : magique, héroïque, ironique, pastoral, moral, Orlando est tout cela à la fois, jusqu’à la confusion des genres.
Par une combinaison alerte, et rarement gratuite, de sens – et de goût – du spectacle, de maîtrise de l’espace et d’acuité dans le dessin psychologique des caractères brossés par l’alternance du récitatif simple et de l’aria da capo, David McVicar était a priori l’homme de la situation. Si elle ne déçoit pas, sa mise en scène ne suscite pas pour autant l’enthousiasme espéré.
Question de goût assurément – et qu’on nous pardonne de verser ainsi dans la plus vaine subjectivité. Car dès le rideau de scène s’immisce le pinceau tout de grâce emperruquée d’un Watteau, puis celui d’un Boucher, qui sont, dans ce XVIIIe siècle français qui dans les autres arts que la peinture flatte absolument notre sensibilité, ce que l’on admire le moins.
Par bonheur, l’Écossais emprunte aussi au trait caustique de Hogarth, qui tout au contraire nous émoustille, et dont l’esprit sans concession nous semble souvent si proche de celui de Haendel. À la manière de ces films en costumes que réussissent si bien les Anglais parce qu’ils y injectent une dose de vitalité toute contemporaine, le plateau constamment fourmille. D’idées, d’accessoires, de figurants et de danseurs. En somme, pas une minute d’ennui.
Et pourtant, ce sens supérieur de l’entertainment, qui faisait merveille dans un Giulio Cesare façon musical, tourne à vide jusque dans la mise en abyme de la folie. Folie de théâtre, théâtre de la folie, devant et derrière la scène, qui est l’esprit malade d’Orlando. Passion et raison, baroque et Lumières se disputent les ficelles sous les traits d’un Amour quasi vampirique et de Zoroastre, non plus homme de l’art, mais des sciences. Quoi de plus pertinent ? Manque cependant l’essentiel : cette folie, justement, qui serait non pas une image léchée, un jeu parfaitement distancié, mais bel et bien une instabilité, un fil sur le point de rompre.
Emmanuelle Haïm ne prend pas davantage de risques dans la fosse – la scène de la folie en est, encore, la preuve la plus flagrante. Sa direction file droit, fermement appuyée, nettement articulée, à mouvement qu’on dirait constant et dynamique contenue, alors même que le Concert d’Astrée révèle une palette affûtée. Comme si le galbe, qu’insinuent les arabesques d’un geste toujours enclos dans sa raideur, était l’apanage du chant.
Laissons néanmoins Nathan Berg embourbé dans la colorature destinée à la basse phénoménale de Montagnana. Créé par Francesca Bertolli, que Haendel employa le plus souvent en travesti, Medoro échoit au contre-ténor attachant, duveteux, mais sans plus de relief de Stephen Wallace – le personnage, il est vrai, n’en présente guère.
L’Orlando de Sonia Prina n’est à l’inverse que creux et bosses. Contrefaisant la cuirasse du paladin à force d’appuyer le larynx sur la poitrine, l’Italienne surmonte les principales embûches semées sur le chemin du castrat Senesino grâce au gargarisme infailliblement véloce qui lui tient lieu d’agilité et au naturel vigoureux de la déclamation, mais demeure trop adolescente de carrure comme d’emportements pour convaincre pleinement.
D’une lumière, d’un frémissement exquisément mozartiens sur toute l’étendue, Henriette Bonde-Hansen se heurte à l’écueil qui menace toute Angelica insuffisamment rompue à la rhétorique expressive et ornementale du bel canto baroque : la placidité. D’autant que Lucy Crowe lui vole d’emblée la vedette, Dorinda au timbre opalin et à l’émission infiniment modulée, dont chaque apparition fait souffler sur cette production le vent de folie contre lequel elle paraît ailleurs assurée.
Prochaines représentations :
Opéra de Lille, 20 et 23 octobre
Théâtre des Champs-Élysées, 3, 5, 7 et 9 novembre
Opéra de Dijon, 20, 23 et 25 novembre
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