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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Kát’a Kabanová de Janáček dans une mise en scène d’Andrea Breth et sous la direction de Leo Hussain au Théâtre royal de la Monnaie, Bruxelles.
Le cauchemar de Kátia
Evelyn Herlitzius (Kátia)
Depuis son arrivée à la tête du Théâtre de la Monnaie, Peter de Caluwe a instauré une dramaturgie de la programmation fondée sur la nécessité du poétique. Sur la recherche donc d’une cohérence créatrice, plutôt que sur celle, figée, d’une prétendue fidélité à l’œuvre. D’une noirceur oppressante, la Kát’a Kabanová d’Andrea Breth l’incarne parfois jusqu’à l’hermétisme.
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Théâtre royal de la Monnaie, Bruxelles
Le 05/11/2010
Mehdi MAHDAVI
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Deux productions ont marqué la carrière scénique de Kát’a Kabanová ces dix dernières années. La vision de Robert Carsen, créée en 2004 à l’Opéra des Flandres, paraît aujourd’hui en DVD chez FRA Musica dans une captation réalisée au Teatro Real de Madrid, qui parvient à traduire la poésie glacée d’une Volga omniprésente, à la fois menace et promesse de délivrance. Aux antipodes, la lecture de Christoph Marthaler, présentée à Salzbourg en 1998 – et que l’Opéra de Paris reprend en mars prochain, rare vestige toléré de l’ère Mortier –, jouait résolument la carte du sordide.
C’est dans cette veine que s’inscrit le travail d’Andrea Breth, grande prêtresse du théâtre allemand désignée par Peter de Caluwe comme l’un des fers de lance de sa programmation à la Monnaie. D’autant que la première scène lyrique belge avait coproduit le spectacle de Marthaler, assimilable à un certain Regietheater s’il n’avait dégagé cette poésie de l’absurde propre au metteur en scène suisse. Le raccourci vaudrait également pour cette nouvelle production, dont le misérabilisme apocalyptique s’apparente assurément à un courant esthétique systématiquement rejeté par les gardiens du temple en mal d’apolliniennes splendeurs.
Mais Ă l’instar de Carsen, particulièrement inspirĂ© par l’univers sonore et dramaturgique de Janáček, autant que de Marthaler, Andrea Breth n’oublie jamais d’être poète. Et cette nĂ©cessitĂ© du poĂ©tique nous apparaĂ®t seule apte Ă dĂ©passer – sans pour autant l’exclure, mais en la prĂ©cĂ©dant pour la transcender – la leçon du théâtre politique, c’est-Ă -dire critique, enseignĂ©e par la gĂ©nĂ©ration nĂ©e pendant ou immĂ©diatement après la Seconde Guerre mondiale, et dans laquelle spectateurs et crĂ©ateurs d’aujourd’hui peinent parfois Ă se reconnaĂ®tre.
Poète donc, Andrea Breth plonge sa plume acérée dans une encre noire, poisseuse, sans concession à la logique temporelle du drame, pour investir la tragédie de Kátia dans une totalité cohérente, qui fait tant la force que la limite de sa mise en scène, en ce que sa subjectivité assénée peut frôler l’hermétisme : le cauchemar d’un esprit malade. Au-delà des apparences, Breth rejette, plus encore que Marthaler, le réalisme, le naturalisme même. Le décor d’Annette Murschetz pourrait figurer la réalité dévastée d’un appartement communautaire. Il est au contraire une suspension de sens, où s’enchevêtrent intérieur et extérieur – un rideau de pluie, des éclairs comme un mur qui se lézarde…
Plus question de morale, de religion, pas même de l’hypocrisie qui en découle : la pourriture, la perversion sont à découvert. Kátia prend place au cœur d’un processus inéluctable d’autodestruction. Ceux qui l’entourent n’existent pas, ou peu. Ils ne sont que des silhouettes, des spectres. La hiérarchie sociale n’a pas plus cours que celle de l’âge. Tous ici semblent avoir le même. Mûr. Une fois abolis les rêves d’une jeunesse perdue ne subsiste que le néant. Dans lequel la représentation débute, obscurité totale, d’où s’élève un silence oppressant. Dans laquelle elle s’achève, lumières brusquement rallumées, aveuglantes.
La battue de Leo Hussain propage cette Ă©nergie du chaos, Ă laquelle se plie un Orchestre symphonique de la Monnaie aux timbres âpres, aiguisĂ©s. Foin d’une certaine tradition folklorique associĂ©e Ă l’univers sonore de Janáček, le chef anglais dirige l’œuvre d’un moderne, d’un visionnaire mĂŞme, oĂą de soudains accès de transparence dĂ©chirent une chair brute. C’est la rudesse d’une langue, poussĂ©e jusque dans des retranchements paroxystiques. Kát’a Kabanová apparaĂ®t dès lors, non plus rĂ©miniscence de Madama Butterfly, que le compositeur eut d’abord en tĂŞte, mais, tragĂ©die expressionniste, comme une rĂ©ponse Ă Elektra.
Est-ce un hasard, d’ailleurs, si Evelyn Herlitzius, qui en a tant incarnĂ© le rĂ´le-titre, et sur cette scène mĂŞme, y aborde Ă prĂ©sent Kátia ? Y serait-elle Ă ce point convaincante dans un autre contexte ? AssurĂ©ment pas, car l’instrument est trop dramatique, puissant, criard pour cette « nature si douce, que j’ai peur, Ă©crivait Janáček Ă son amour de vieillesse, Kamila Stösslová, si le soleil venait Ă briller sur elle de tous ses feux, qu’elle ne fonde, ou mĂŞme qu’elle ne dissolve. » Mais la soprano allemande porte, habite absolument ce destin broyĂ©.
Qu’importe en somme que Kurt Streit chante un beau Boris, de ce ténor franc et droit qui jamais ne s’obscurcit, à l’inverse du Kudrjáš barytonnant de Gordon Gietz, un temps si frais, presque innocent de timbre. Ou que Natacha Petrinsky soit une Varvara presque mûre désormais – de voix, oscillante, nasale, plus que de physique – pour Kabanicha, anodine Renée Morloc. Qu’importe puisque la tragédie de Kátia se joue comme le monodrame d’une désespérance fatale.
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Théâtre royal de la Monnaie, Bruxelles Le 05/11/2010 Mehdi MAHDAVI |
| Nouvelle production de Kát’a Kabanová de Janáček dans une mise en scène d’Andrea Breth et sous la direction de Leo Hussain au Théâtre royal de la Monnaie, Bruxelles. | Leoš Janáček (1854-1928)
Kát’a Kabanová, opéra en trois actes (1921)
Livret du compositeur d’après l’Orage d’Alexandre Nikolaïevitch Ostrovski dans la traduction tchèque de Vicenc Cervinka.
Chœurs et orchestre symphonique de la Monnaie
direction : Leo Hussain
mise en scène : Andrea Breth
décors : Annette Murschetz
costumes : Silke Willrett et Marc Weeger
Ă©clairages : Alexander Koppelmann
Avec :
Evelyn Herlitzius (Kát'a Kabanová), RenĂ©e Morloc (Kabanicha), Kurt Streit (Boris Grigorjevič), John Graham-Hall (Tichon Ivanyč Kabanov), Natascha Petrinsky (Varvara), Gordon Gietz (Váňa Kudrjáš), Pavlo Hunka (Savjol Prokofjevič Dikoj), Emma Sarkisyan (Glaša), Georg Nigl (Kuligine), Mireille Capelle (Fekluša). | |
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